Le Contrat Social - anno II - n. 6 - novembre 1958

328 pratiquer une politique distributive à grande échelle : aux pays dépourvus de devises pour importer, ils en prêtèrent, ils en donnèrent, ils offrirent des marchandises à titre gracieux. L'aide Marshall permit à l'Amérique de franchir sans trop de dommages le passage de l'économie de guerre à l'économie de paix; elle sauva l'Europe de la misère et du bolchévisme. L'alliance atlantique découle de cette interdépendance. A l'impératif économique de la subsistance s'ajoutait l'impératif vital de l'existence. Non seulement l'URSS ne démobilisait pas mais, tirant à sa façon les conséquences de Ialta, elle s'emparait de l'Europe orientale. Un dernier bastion subsistait : la Tchécoslovaquie ; le rideau de fer l'engloba en septembre 1947 lorsque Staline convoqua à Moscou les dirigeants de Prague pour leur interdire d'accepter l'aide Marshall. Cinq mois plus tard, au cours des journées tragiques de février, Gottwald faisait céder le faible Bénès et le « trait d'union » tchécoslovaque tombait dans le camp totalitaire. C'était la suite normale de -l'ukase de septembre ; mais alors l'Europe prit peur : où Staline allaitil s'arrêter ? Dès la fin de 1946, à Zurich, Churchill avait engagé la France et l'Allemagne à enterrer définitivement la hache de guerre et à joindre leurs efforts pour sauver le continent. A la même époque, les .fédéralistes de différents pays - France, Suisse, Belgique, Hollande, Luxembourg - s'étaient groupés dans une Union européenne et devaient, dans l'été de 1947, prendre contact avec des Anglais, puis en 1948 avec des Allemands. Sous l'impulsion du Français André Voisin et du Néerlandais Hendrijk Brugmans, ils lançaient à l'automne de 1947 l'idée des États généraux de l'Europe, où les représentants des « forces vives » (syndicats, associations et communautés de tout ordre) auraient affirmé, aux côtés d'hommes politiques et de militants européens, leur volonté de « faire l'Europe ». L'idée fut reprise conjointement par un Conseil français pour l'Europe unie et par l' United Europe Committee patronné par Churchill et dirigé par son gendre Duncan Sandys (l'actuel ministre de la Défense britannique). Au lieu d'États généraux, le Comité de coordination constitué sur le plan international, entre ces organismes et les autres mouvements pour l'Europe. unie (à commencer par les fédéralistes) convoqua un congrès de personnalités : le Congrès ·del'Europe, qui se tint à La Haye du 8 au 10 mai I 948 et détermina tout le processus européen -ultérieur. !Jeux textes significatifs Rien ne rés11memieux l'évolution de l'Europe depuis 1948. que-la-j-uxtaposition de deux textes qui tracent l'un ·et l'autre une politique précise. · Le premier est le Message aux Européens, préambule -à la résolution politique de La Haye, Biblioteca Gino Bianéo LE CONTRAT SOCIAL que Denis de Rougemont vint lire à la séance de clôture du Congrès. Le voici : L'Europe est menacée, l'Europe est divisée, et la plus grave menace vient de ses divisions. Appauvrie, encombrée de barrières qui empêchent ses biens de circuler, mais qui ne sauraient plus la protéger, notre Europe désunie marche à sa fin. Aucun de nos pays ne peut prétendre, seul, à une défense sérieuse de son indépendance. Aucun de nos pays ne peut résoudre seul les problèmes que lui pose l'économie moderne. A défaut d'une union librement consentie, notre anarchie présente nous exposera demain à l'unification forcée, soit par l'intervention d'un empire du dehors, soit par l'usurpation d'un parti du dedans. L'heure est venue d'entreprendre une action qui soit à la mesure du danger. Tous ensemble, demain, nous pouvons édifier, avec les peuples <l'outre-mer associés à nos destinées, la plus grande formation politique et le plus vaste ensemble économique de notre temps. Jamais l'histoire du monde n'aura connu un si puissant rassemblement d'hommes libres. Jamais la guerre, la peur et la misère n'auront été mises en échec par un plus formidable adversaire. Entre ce grand péril et cette grande espérance, la · vocation de l'Europe se défini~ clairement. · Elle est d'unir ses peuples selon leur vrai génie, qui est celui de la diversité, et dans les conditions du xx8 siècle, qui sont celles de la communauté, afin d'ouvrir au monde la voie qu'il cherche, la voie des libertés organisées. Elle est de ranimer ses pouvoirs d'invention pour la défense et pour l'illustration des droits et des devoirs de la personne humaine, dont, malgré toutes ses infidélités, l'Europe demeure aux yeux du monde le grand témoin. La conquête suprême de l'Europe s'appelle la dignité de l'homme et sa vraie force est dans la liberté. Tel est l'enjeu final de notre lutte. C'est pour sauver nos libertés acquises, mais aussi pour en élargir le bénéfice à tous les hommes, que nous voulons l'union de notre • contment. Sur cette union l'Europe joue son destin et celui de la paix du monde. Soit donc notoire à tous que nous, Européens, ras- . semblés pour donner une voix à tous les peuples de ce continent, déclarons solennellement notre commune volonté dans les cinq articles suivants, qui résument la résolution adoptée par notre Congrès : 1 ° nous voulons une Europe unie, rendue dans toute son étendue à la libre circulation des hommes, des idées et des biens ; 2° nous voulons une Charte des Droits de l'Homme garantissant les libertés de pensée, de réunion et d'expression, ainsi que le libre exercice d'une opposition politique; 3° nous voulons une Cour de Justice capable d'appliquer les sanctions nécessaires pour que soit respectée la Charte; 4° nous voulons une Assemblée européenne, où soient représentées les· forces vives de toutes nos na- • ttons; 5° et nous prenons de bonne foi l'engagement d'appuyer de tous nos efforts, dans nos foyers et en· public,

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