Le Contrat Social - anno II - n. 5 - settembre 1958

312 avec le complot de Juillet. Il y eut aussi des suicides., des exécutions mi1itaires et des assassinats à porter au compte des SS. Rudolf Pechel., luimême résistant de la première heure., en arrive ainsi au total de cent quarante-sept personnes. Il n'y a donc aucune raison d'ordre n11mérique pour que parmi les trente-deux victimes nommées dans le livre ne figurent pas les membres les plus importants et les plus actifs de la conspiration. Mais si la liste établie par l'auteur inclut l'ancien chef d'état-major général., Ludwig Beck., qui devait prendre la tête du gouvernement après l'exécution d'Hitler, elle exclut le maréchal von Witzleben, qui aurait reçu le commandement en chef de l'armée. Certes, Witzleben ne joua qu'un rôle peu important le jour du coup d'État., mais il faudrait alors exclure Karl Goerdeler, que sa conduite imprudente avait déjà obligé à se cacher. Ce n'est manifestement pas par hostilité envers les militaires que Mme Leber omet Witzleben, car elle inclut la plupart des officiers subalternes de l'entourage immédiat de Stauffenberg, de même que les deux conspirateurs militaires les plus actifs, Henning von Tresckow et Hans Oster. Mais qu'en est-il des généraux - Olbricht, Hoeppn_er, Stuelpnagel, Fellgiebel, Stieff et von Hase, qui tous remplirent leurs engagem~nts envers Stauffenberg., firent son coup d'Etat (ou ce qui en a tenu lieu), et furent dûment égorgés sur un croc de boucher à Ploetzensee ? Et des autres chefs militaires qui, bien que le destin ait surpris les conspirateurs avant même qu'ils ne pussent les aider, s'étaient du moins irrévocablement compromis, et furent obligés de se suicider ? On pense aux maréchaux Rommel et von Kluge, aux généraux Wagner, Lindemann et von Roenne. * 'Jf- 'JfLE CHOIX qu'opère Mme Leber parmi les conspirateurs civils est plus curieux encore. On cherchera en vain les noms de Johannes Popitz, Albrecht Haushofer, Karl Langbehn, Werner von der Schulenburg, Jens Jessen, Ulrich von Hassel!, Karl Jack, et celui de l'amiral Canaris, même si c'est avec raison que sont exclus un Artur N ebe et un comte Helldorf, responsables de massacres en masse. 11 y a là huit noms qui reviennent constamment dans tout écrit concernant la Résistance allemande. Peut-être les a-t-on omis parce que, d'une façon temporaire ou continue, ils ont été en fonctions sous Hitler. Peut-être en ont-ils gardé les mains sales, très sales dans plusieurs cas. Haushofer avait été en liaison avec Hess, Popitz avec Goering, Langbehn avec Himmler, et Jessen avec le tueur Otto Ohlendorf. A la place de ces hommes., on nous donne la biographie de quelque six ou sept anciens sociaux- .démocrates., dont le seul rapport avec le complot de Juillet est dû au fait qu'on a malencontreusement trouvé leur nom dans les listes établies par Goerdeler pour son « cabinet fantôme »., à Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL moins que le complot de Juillet ne fût simplement un prétexte pour les éliminer. Pourtant la liste de Mme Leber inclut Fritz von der Schulenburg qui entra dans la police en 1937 et servit sous les ordres de Himmler., lequel avait assassiné son héros de 1a veille, Gregor Strasser. Schulenburg travailla trois ans à la direction de la police de Berlin., comme adjoint du comte Helldorf., l'organisateur du pogrome de novembre 1938. Mais en 1944 Schulenburg avait assuré la liaison entre les conspirateurs mi1itaires de Stauffenberg et les révolutionnaires et sociaux-démocrates groupés autour de Helmuth von Moltke. C'est là, si je comprends bien., la raison qui lui fait trouver place dans ce martyrologe, de préférence à son homonyme., l'ambassadeur Werner von der Schulenburg, qui., lui, n'avait• jamais été policier sous Hitler. Se pourrait-il que les anciens ambas- ~ sadeurs von der Schulenburg et Ulrich von Hassell, pour égorgés qu'ils furent., aient été omis parce que conservateurs ? On se demande si Sophie Scholl et ses camarades auraient estimé qu'ils avaient grand-chose en commun avec un ancien policier hitlérien comme Fritz von der Schulenburg. 11 est difficile de suivre les pieuses philippiques de l'école allemande de littérature résistante, difficile de voir dans le complot de Juillet plus qu'une manœuvre désespérée pour finir la guerre, de la part d'hommes qui n'avaient pas eu le courage moral d'agir en 1938, en 1939., ou en 1941. Dans cc monde excessivement gouverné qui est le nôtre, ce n'est pas dans l'action d'un chef politique que se manifeste la protestation de la conscience individuelle. L'esprit de révolte produit de nos jours des Hitler plutôt que des Garibaldi ou des Guillaume Tell. Le cri de la conscience se retrouve plutôt dans les sectes mineures et excentriques., comme celles des Chrétiens bibliques et des Témoins de Jéhovah, qui souffrirent avec une telle constance sous le régime nazi. La religion est essentielle à cette forme de protestation. C'est ainsi que, parmi les hommes qui forment le sujet de ces soixantcquatre. biographies, le seul qui chercha délibérément le martyre solitaire fut un prêtre catholique. On peut apprendre dans ce livre comment, en 1941., le Père Bernhard Lichtenberg., doyen de la cathédrale Sainte-Hedwig à Berlin., priait pour les Juifs d'Allemagne déportés, et fut arrêté au moment où il allait prononcer un sermon dans lequel il demandait à partager leur sort. On peut lire le texte de son défi public au « chef de la Santé du Reich », le Dr Conti, auquel il rappela ce que signifiait en réalité la prétendue « euthanasie » que pratiquaient les hitlériens sur les aliénés. Très froidement., calmement., il en envoya un exemplaire à la Chancellerie d'Hitler et un autre à la Gestapo. Deux ans plus tard, il sortit de prison, mais la Gestapo l'attendait à la porte pour le conduire à Dachau. A l'âge de soixantehuit ans, usé par la maladie., il ne put survivre à l'épreuve. ( Traduit de l'anglais) GERARD REITLINGER

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==