256 eux et je tiendrai compte de tous leurs méfaits. » Que les malheurs publics soient le châtiment du dérèglement des mœurs, tous les Prophètes le redisent, mais aussi tous les autres livres de l'Ancien Testament. 3 Dès la Genèse, le sort de Sodome nous avertit que les mauvaises mœurs attirent un malheur collectif, où la minorité des gens de bien est elle-même enveloppée. Telle est la leçon qu'a pu légitimement recueillir un Bernanos, en l'animant du souffle épique de sa grande âme. En revanche on peut s'étonner que nos professeurs n'aient pas dépassé la sociologie de la Bible. C'est pourtant, à la réflexion, moins étrange qu'il ne semble d'abord. Car la science politique d'à présent n'est peut-être pas toujours science autant qu'elle le croit. TOUTES les disciplines ont été tardives à se pénétrer d'esprit scientifique. Au bon vieux temps, chacune d'elles parlait à l'imagination. Les astres décrivaient des cercles parfaits, la géométrie donnait les lois du véritable espace. On pouvait supposer le fœtus se formant dans la matrice et mis en forme par elle, ou préformé dès le germe initial : l'une et l'autre doctri..T1e était accessible à l'imagination. Nous avons changé tout cela. Depuis Newton, les astres ont cessé leur course solitaire, et chacun d'eux désormais s'équilibre avec tous les autres. Lobatchevski a détruit dans l'abstrait, Einstein dans le concret, l'espace qui était commun aux géomètres et aux physiciens et que, deux mille ans durant, ils avaient fait passer pour immédiatement connaissable. Bourbaki, par sa mathématique sans chiffres, ruine le monde des nombres, majestueux édifice élevé en plusieurs millénaires. Analysée dans sa source par la biologie, scrutée dans sa formation historique par la psychologie, la personnalité cesse de jouir de cette simplicité qui prenait valeur d'évidence. Partout l'imagination est mise en échec. Partout le calcul et la réflexion supplantent l'évidence. Les adversaires de Pasteur n'ont pas de successeurs, et l'affaire Lysenko n'est qu'une résurgence bouffonne et sans lendemain. Le seul domaine où l'imagination maintienne opiniâtrement ses droits, c'est la politique. La politique est donc livrée à cette évidence immémoriale, à cette évidence biblique que forme la succession de la faute et du châtiment. Et cette évidence est criante, je le sais. Qui osera nier les stupres de l'Ancien Régime finissant, les scandales et la licence du Directoire, les intrigues ourdies dans les couloirs de notre Assemblée 3. Le psaume XLIV, où l'on voit Israël persécuté en raison de sa fidélité à son Dieu-; est sans doute de très basse époque. Le livre de Job pose, sans le résoudre, le problème du malheur immérité. Il peut être assez tardif et, en tout cas, il est contraire à la tradition. Pour la tradition, le malheur est un châtiment divin et implique une défaillance ou déficience antérieure. Dans la plupart des psaumes, Iahvé est « celui qui châtie les nations ~. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL nationale ? Eh bien, ne nions rien.' Mais quoi, sont-ce là des évidences plus évidentes que la course du soleil autour de la terre ? Rien n'est .plus évident au monde que le mouvement diurne du soleil, et pourtant nos petits enfants savent qu'ils ne doivent pas en croire leurs yeux. A LA VÉRITÉ, il a été si malaisé, non seulement aux profanes, mais aux sp~ci:tlïstes eux-mêm:s, de se déorendre de leurs 1dees en astrononue, biologie Ôu psychologie, qu'on ne saurait être surpris que l'on soit lent à observer sans préjugés les phénomènes qui touchent à l'organisation sociale. Les hommes tiennent à la spontanéité de leurs jugements moraux, dont l'évidence, pour eux, le dispute à toute autre. Socrate a en vain répété, il y a près de vingt-quatre siècles, que nul ne fait le roll volontairement. Éternels PerrLris Dandins, nous voulons juger. Et nous jugeons. Nous jugeons, dans nos Cours dè justice, ceux qui sont à coup sûr les plus irresponsables de nos. concitoyens, puisqu'ils ont commis des crimes. Et nous jugeons les nations. Parce que, comme nous aimons à dire, chaque peuple a le gouvernement qu'il mérite. Admettons qu'il y ait, parmi les individus, des innocents et des coupables. 5 Il n'en demeurerait pas moins que la notion de responsabilité n'est pas scientifiquement applicable à des collectivités, qu'il s'agisse des nations ou des partis, ou même des individus, en tant qu'ils sont les représentants qualifiés de ces collectivités. Il est étrange qu'on soit obligé de démontrer la vanité de la notion de responsabilité collective. Il y a quelques années, au temps où Hitler l'utilisait dans sa propagande, tous ses adversaires semblaient unanimes à la rejeter. Aujourd'hui elle reparaît de tous côtés. A dire vrai, elle n'avait jamais été abandonnée, et ceux-là mêmes qui en contestaient la valeur lorsque Hitler dénonçait un complot juif, dont tous les Juifs (et beaucoup d'autres) auraient été complices, ne manquaient pas, à l'occasion, de prononcer des jugements collectifs. 6 C'est que l'on condamnait la notion de responsabilité collective pour des raisons morales et Juridiques, sans prendre garde que ces raisons morales et juridiques n'avaient de valeur que parce qu'elles se fondaient sur une analyse rigoureuse de la réalité. Et l'on ne s'avisait pas que, si la notion de responsabilité collective a disparu de nos codes, c'est précisément parce qu'une , 4. Encore que ... 5. Nos sociétés commencent à en douter. Il y a cent vingt ans, c'est par une législation sur le travail des enfants qu'a commencé à se transformer la notion du travail. Aujourd'hui, c'est dans les tribunaux pour enfants et adolescents que les principes de notre justice sont remis en question. 6. Souvent, sur les Juifs eux-mêmes. On désapprouvait Hitler : « Il est vrai, ajoutait-on, qu'ils sont ceci, qu'ils sont cela. » Cependant que d'autres faisaient peser sur les Allemands une semblable responsabilité collective. '
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