Le Contrat Social - anno II - n. 5 - settembre 1958

308 rament de l'homme de gauche et celui de l'homme de droite. Et c'est bien en définitive de tempérament qu'il s'agit : n'a-t-on pas pu, avec quelque raison, mettre Descartes à droite et Pascal à gauche 1 , ou Bossuet et Fénelon, ou Voltaire et Rousseau ? A droite, on serait à la fois plus « essentialiste » et plus rationnel, plus discursif, tandis qu'à gauche, on serait plus sensïble, plus « existentiel », plus docile aux pulsions du cœur. De là à faire de l'esprit de gauche une sorte de romantisme politique avant la lettre, et de l'esprit de droite une réaction classique de type apollinien contre les excès dyonisiaques d'une pensée ivre de ses chimères, il n'y a qu'un pas, vite franchi par Maurras : le théoricien du nationalisme intégral assimilait romantisme et révolution, classicisme et contre-révolution. De telles simplifications sont séduisantes mais erronées. Les puissances d'argent... En France, la richesse est toujours suspecte, tant il est vrai que nous sommes d'abord le pays de !'Égalité. Or, la droite passe pour représenter l'or, la propriété, toutes choses dépourvues de générosité. 2 Faut-il y voir la raison de son discrédit en France, où personne, à part quelques exceptions, ne s'avoue de droite ? A l'étranger, c'est plutôt le contraire : le terme de gauche semble y pâtir de son origine sinistre, tandis que la droite y rappellerait à la fois le droit et l'adresse. Un dernier trait : pour l'homme de gauche, la droite existe en soi, un peu comme une conjuration contre le peuple, contre la démocratie, la liberté, etc. Car l'homme de gauche est d'abord un homme politique, tandis que l'homme de droite ne croit guère à la politique, qu'il tient souvent pour un jeu idéologique, la plupart du temps sans consistance, et souvent dangereux. A quoi Maurras opposait la Politique avec une majuscule : double héritage de Platon et - paradoxalement - de la pensée jacobine. * ,,,. ,,,. UN DES GRIEFS les plus courants qu'on adresse à la droite, c'est son pessimisme. Alors que la gauche fait volontiers confiance à !'Histoire (les communistes et leurs alliés progressistes allant jusqu'à la déifier), la droite tiendrait plutôt l'histoire (avec un petit h) pour une succession de catastrophes. L' Age d'Or était hier, aujourd'hui est un hier dégradé, ~emain sera pire, etc. Or un des traits les plus remarquables de la jeune pensée de droite est au contraire son alacrité. Car il se produit actuellement un phénomène encore inaperçu, mais qui, en cette période de mue française, peut avoir de fructueuses consé1. En remontant même beaucoup plus haut: saint Thomas d'Aquin serait • de droite •, et saint Augustin " de gauche •··· 2. Ici, une distinction s'impose entre la droite. tra~tionnelle, d'origine foncière, et pauvre -. et la droite. libérale (qu'André Siegfried appe~e. ga~che libérale ... ) 9~ représenterait plutOt la bourgeoisie d argent du XIX8 s1ecle. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL quences : la droite, trop souvent sclérosée dans le domaine politique (mais la gauche est-elle si souple ?) est en train de se renouveler intellectuellement de telle sorte qu'elle va peut-être se placer en excellente posture pour les compétitions de demain. Deux ouvrages récents l'attestent, minces de ve>1J11meteriches de substance. Le premier, La R1volution du xxe siècle, e~t dû à Thierry Ma11)n1er,connu du grand public pour ses chroniques du Figaro et qui, à ses travaux littéraires et dramatiques avait déjà ajouté en 1946 quelques excellentes pages consacrées à l'analyse de l' ~volution ~ociale : son, ouvra~e Violence et conscience, essai sur une economte orientée dans la liberté. Dans La Révolution du xxe siècle, Thierry Maulnier essaie de tirer quelques leçons positives ~ du drame hongrois d'octobre-novembre 1956. Et d'abord celle-ci : en se soulevant contre un régime détesté, les Hongrois ont fait éclater aux yeux des plus aveugles la monstrueuse mystification du communisme; celui-ci prétend libérer l'homme et le réduit à la misère, le so11met à la plus effroyable tyrannie. Or, affirme Thierry Maulnier, la seule excuse invoquée en faveur de l'esclavage bolchéviste, c'est le mieux-être des générations futures, qu'il fait payer aux générations présentes. Tragique archaïsme : on pouvait peut-être au temps de Marx, voire de Lénine, soutenir cette thèse. Au milieu de notre :xxe siècle, qui vit une révolution technique et sociologique sans précédent, le bagne d'aujourd'hui pour préparer le paradis de demain est la plus sanglante des duperies. Non seulement le communisme n'est plus (s'il le fut jamais) dans le fameux « mouvement de l'histoire », mais il apparaît objectivement comme « à contre-courant des possibilités offertes aux sociétés humaines par l'expansion gigantesque des techniques ». Nous sommes en effet entrés, sans nous en rendre bien compte, arg11m~nte notre auteur, dans l'âge de l'abondance. Depuis que Ford a découvert que ses ouvriers pouvaient et devaient . lui ach~ter ses automobiles, le salaire devient de moins en moins une rétribution du travail et de plus en plus une distribution de pouvoir d'achat. Le keynesianisme et le « plein emploi » sortent de lui, tout comme le «miracle» du Dr. Schacht réalisant l'autarcie allemande sans hausse de prix et le maintien ou l'élévation des niveaux de vie. Allocations familiales, allocations de chômage au plan national, aide Marshall, point IV au plan international : ce sont des répartitions gratuites de capacité de consommation qui ne tiennent aucun compte des services rendus à la production. Demain, énergie nucléaire, cybernétique, électronique, automation : le problème essentiel sera de répartir. L'anarchie libérale et malthusienne est périmée ; la contrainte et la violence totalitaires sont absurdes. « L'au-delà du capitalisme èst aussi par la force des choses un audelà du marxisme, une économie planifiée sans doute, mais planifiée en .fonction des désirs et

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