306 prononcé le troisième jour (16 février) ; il est possible que Mikoïan et Pankratova aient reçu mission · d'amorcer l'opération pour tâter le terrain et qu'après conversations de couloirs avec les congressistes, il soit apparu nécessaire de frapper un grand coup, le déballage de Khrouchtchev ; il est possible aussi que le timing ait été convenu d'avance : en tout cas, Khrouchtchev a cité une trentaine de documents secrets qu'il avait fallu extraire soigneusement d'archives considérables, choisir en pesant le pour et le contre, etc., ce qui exclut l'improvisation de dernière heure, nonobstant la forme bâclée du discours ; le dossier utilisé par Khrouchtchev a dû être mûrement délibéré au Presidium, sélectionné pièce à pièce, même si une majorité seulement s'est prononcée pour le déboulonnage; en outre, dix-huit autres documents secrets, enfin imprimés, ont été distribués aux congressistes (publiés par le State Department) et, seule, la direction collective a pu se le permettre (cf. Les Archives entr'ouvertes, dans « Preuves », n° 66, Paris, août 1956). M. Rush accumule comme à plaisir les invraisemblances et prête à Khrouchtchev ou à Mikoïan ses propres pensées américaines au lieu de pénétrer la mentalité soviéto-communiste façonnée par un demi-siècle de dressage. Il montre en Mikoïan l'adversaire implacable de ce Khrouchtchev qui liquide politiquement tous les opposants, sauf Mikoïan ; et en Boulganine l'allié fidèle de ce même Khrouchtchev qui le rétrogradera par étapes. A l'en croire, un événement majeur comme l'extraordinaire discours secret découle d'une obscure querelle individuelle et inintelligible entre Khrouchtchev et Mikoïan ; - chacun est libre d'en faire à sa guise dans un congrès communiste à Moscou; la hiérarchie et la discipline bolchéviques sont des mythes, la démocratie coule à pleins bords dans l'Union soviétique. Et dix-sept advisers consultés ne trouvent rien à y reprendre. L'ouvrage n'est ni composé, ni écrit. Des phrases se juxtaposent sans logique ni coordination, l'exposé saute d'un sujet à l'autre n'importe comment, les suppositions les moins fondées deviennent des certitudes, les emprunts au journalisme le plus trivial s'offrent comme des trouvailles originales (ainsi l'hypothèse saugrenue relative au duel Mikoïan-Khrouchtchev vient d'un méprisable publiciste stalino-trotskiste qui sévit dans la presse anglaise et. que The Reporter, de New York, n'a pas honte de reproduire). On a l'impression que les dix-huit soviétologues précités ont mis la main au texte, qui retranchant, qui ajoutant, pour aboutir à cette mosaïque disparate où le signataire donne inconsciemment des arguments ·contre lui-même. M. -Rush se forme des idées préconçues dans une matière où il s'avère profane, il braque tantôt son microscope, tantôt son télescope sur Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL des virgules, des majuscules, dès minuscules et il les interprète systématiquement en faveur de sa thèse, laquelle demeure indéfinissable. Son procédé consiste à collectionner des détails infimes, soit dépourvus de sens, soit ayant une signification qui lui échappe, pour les analyser comme autant de « subtilités » et les amalgamer de façon à personnaliser son petit roman historique. 11 a relevé ainsi toutes sortes de signes, allusions, nuances ou lapsus dont il se sert pour fabuler l'intrigue alors qu'on peut mieux les comprendre comme reflétant les tiraillements intérieurs, les fluctuations· de majorité dans la direction collective avant qu'elle n'acquière une homogénéité relative. On ne va pas ici répéter des choses déjà écrites ailleurs, qui réfutent .en tous points des allégations kremlinologiques par trop hasardeuses. 11 doit suffire de signaler ? les passages du livre où M. Rush tient pour acquise la version suiv~t laquelle ·Malenkov, en mars 1953, aurait volontairement renoncé au secrétariat du Parti afin de prendre la présidence du Conseil des ministres : cela disqualifie un auteur et discrédite sa « science sociale ». Après quarante ans de régime soviétique, il ne devrait plus être nécessaire de rappeler que le pouvoir courant de décision y appartient au presidium du Parti et, subsidiairement, au secrétariat, par délégation du Comité central, tandis que le Conseil des ministres se cantonne dans l'exécution. Disserter de cc l'influence » des exécutants sur les gouvernants, comme le fait M. Rush en supputai1t les chances de Malenkov d'influencer le noyau dirigeant, c'est oublier que l'État soviétique s'identifie à « l'appareil » du Parti et que le président du Conseil ne dispose d'aucun « appareil », c'est transposer les conceptions habituelles ·d'un Occidental sur un plan où elles sont absolument étrangères. En fin de compte, la question se pose : à quoi tend, somme toute, le laborieux et méticuleux travail de M. Rush, ou plutôt des dix-huit spécialistes qui ont contribué à cette centaine de pages ? . A démontrer que Khrouchtchev est le · premier secrétaire du Parti, avec ou sans majuscules, et que le premier secrétaire du Parti n'est autre que Khrouchtchev. Mais depuis cinq ans, aucun soviétologue consciencieux ne doit l'ignorer, ni que cet homme de. confiance et porteparole du Comité central en traduit les hésitations, les tâtonnements, l'empirisme. Autant qu'on connaisse la routine, le Comité central ne siège qu'à de larges intervalles, le Presidium se réunit toutes les semaines, le Secrétariat fonctionné en permanence et, par- nécessité, l'un des secrétaires prime les autres. Mais Khrouchtchev ne sera pas plus un nouveau Staline que celui-ci n'a été un autre Lénine : il incarne l'actuelle direction collective qui s'efforce en vain de surmonter ses contradictions insolubles entre la théorie et la pratique. B. SOUVARINB ..
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