M. NOMAD tature d'un groupe d'intellectuels avec l' « émancipation de la classe ouvrière». Pendant la première année du régime soviétique, alors que certains opposants étaient encore autorisés à exprimer leur manière de voir, Makhaïski publia à Moscou (en juillet 1918) un numéro unique de sa Rabotchaïa Révoloutsia (Révolution ouvrière) où il formulait à nouveau certaines de ses conceptions fondamentales, en mettant l'accent sur l'égalitarisme. Les ouvriers, écrivait-il, n'auront point leur gouvernement ouvrier - même après que les capitalistes auront disparu. Aussi longtemps que la classe ouvrière demeure condamnée à l'ignorance, le pouvoir - exercé en apparence par les députés ouvriers - demeurera entre les mains de l'intelligentsia défendant ses propres intérêts plutôt que ceux des travailleurs manuels, et soutenant par là même les privilèges du vieux monde basé sur l'exploitation. Après l'expropriation des capitalistes, les ouvriers ont encore à obtenir l'égalisation de leur revenu avec celui des intellectuèls, autrement ils resteront voués au travail manuel, à l'ignorance et à l'incapacité de diriger la vie du pays. Ainsi, même après l'effondrement du système capitaliste, les travailleurs ne seront pas en possession du pouvoir, ils n'auront pas dans leurs mains un appareil de gouvernement qui leur soit docile. Lorsque la classe ouvrière aspire à sa domination, cela veut dire qu'elle aspire à la domination révolutionnaire sur le gouvernement. Par sa pression révolutionnaire et par l'expression de la volonté des millions d'êtres qui travaillent, la classe ouvrière doit dicter les lois au gouvernement. Une fois de plus, Makhaïski exprimait sa propre volonté de puissance d'une manière ambiguë en parlant de la classe ouvrière « dictant les lois au gouvernement » ; mais aucun écho ne lui répondit. Ses propres partisans se trouvaient réduits à une poignée d'hommes ; et certains de ses amis les plus actifs étaient passés aux bolchéviks. Sans doute avaient-ils préféré prendre part au gouvernement plutôt que de prêcher aux ouvriers de « lui dicter les lois », c'est-à-dire, en substance, d'enlever le pouvoir à Lénine pour le donner à Makhaïski. En 1918, Makhaïski et ses quelques partisans n'étaient pas persécutés par les autorités soviétiques, qui ne voyaient en eux qu'une poignée de sectaires isolés et sans influence. Cependant, les communistes n'étaient pas sans percevoir une menace latente dans une théorie critique qui mettait en évidence le caractère néo-bourgeois Biblioteca Gino Bianco 279 de la bureaucratie bolchévique alors au pouvoir. Aussi en 1923 interdirent-ils la réimpression des ouvrages de Makhaïski écrits depuis près d'un quart de siècle. Ils savaient ce qu'ils faisaient. Quelles que fussent les ambitions révolutionnaires personnelles de Makhaïski, ses prédictions quant au caractère priviligié de la nouvelle équipe dirigeante s'étaient vérifiées à cent pour cent et alimentaient une fermentation d'idées dans les groupes toujours renaissants de travailleurs manuels déclassés et de semi-intellectuels appartenant aux rangs inférieurs du parti communiste qui, au début des années 1920, grognaient contre les hiérarchies politiques et syndicales. Certains des opposants puisèrent leur inspiration chez Makhaïski par des voies · indirectes : le fameux économiste et philosophe russe A. A. Bogdanov, ex-bolchévik qui avait rompu avec Lénine, caractérisait lui aussi le régime soviétique comme étranger à la classe ouvrière et dominé par les bureaucrates et les « organisateurs » 17 , c'est-à-dire les directeurs et les techniciens (les managers). Lorsqu'en 1926 Makhaïski mourut à l'âge de soixante ans, la Pravda du 2 mars publia sur quatre colonnes un article plein de déformations et de vitupérations dirigées non pas tant contre l'homme que contre ses idées. Et douze ans plus tard, à l'époque des épurations massives, le même journal (18 novembre 1938) s'en prenait sur six colonnes à la makhaïevchtchina, aux théories de Makhaïski. 11 n'y avait plus alors un seul makhaïevetz vivant qui pût être épuré et contraint d' « avouer » son appartenance à un groupe d'anarcho-trotskistes contre-révolutionnaires, au service des monarchistes russes, de Hitler et de Wall Street ... 11 semble donc qu'en dépit de l'utopisme et du machiavélisme curieusement mêlés, sous-jacents à son égalitarisme révolutionnaire, Makhaïski comme critique et prophète soit devenu le reproche impossible à tuer, la mauvaise conscience des nouveaux maîtres bureaucratiques et directoriaux de la Russie, posant aux émancipateurs de la plèbe. ( Traduit de l'anglais) MAx NoMAD 17. Dans une brochure parue en 1919 . •
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