Le Contrat Social - anno II - n. 5 - settembre 1958

L. EMBRY terme de ces glissements successifs, on est prêt à l'excuser, à faire étape avec lui, à se dire qu'on combat ses erreurs en lui enlevant ses arguments et sa raison d'être, en le dépassant dans l'action pratique : les chemins de l'alliance sont ouverts. Il y a plus. Le christianisme peut être considéré sous certains rapports comme une philosophie de l'histoire ; il éclaire le destin de l'homme par référence au conflit du mal et du bien, à la chute et à la rédemption, aux épreuves et au salut. Le marxisme est un décalque laïque et matériel de cette conception ; il fait voir en la lutte des classes, donc du juste et de l'injuste, le moteur de l'histoire, il annonce les révolutions, il prophétise l'ère paradisiaque, la société sans classes, le salut collectif. Cette reprise des thèmes éternels de la pensée religieuse est assurément sommaire, simpliste, presque caricaturale. Il n'en est pas moins vrai que l'esprit du chrétien s'y sent tout à fait à l'aise, d'autant plus qu'il dispose des vues transcendantes qui élargissent l'horizon en tous les sens. De cette similitude possible entre des cadres intellectuels pourtant très différents naissent des conséquences dont l'une au moins est fort grave. Le chrétien progressiste s'accoutume à penser que la montée du communisme et même son éventuelle victoire temporelle ne constituent à tout prendre qu'un des termes de la dialectique, qu'on ne doit pas s'en épouvanter, qu'au sein des persécutions et de l'apparente défaite, le christianisme prépare et préparera sa purification douloureuse, puis son règne. Sous cet aspect encore la doctrine du dépassement exerce son influence anémiante ou soporifique; elle déconseille la résistance directe, elle incline au fatalisme et même à la collaboration momentanée. Telle est la pente des concessions. * ,,. ,,. Nous SERIONS bien éloignés d'avoir donné à ces faits leur pleine signification si nous omettions de les rattacher au passé qui les explique ; des travaux de synthèse comme ceux d' Adrien Dansette et de Jacques Marteaux fournissent à cet égard une documentation abondante et convaincante, précisément parce qu'elle se colore de jugements souvent opposés ou confrontés. Grâce à ces vues d'ensemble on prend clairement conscience des difficultés de l'Église catholique en butte depuis la Révolution française à une série de très violents assauts que les agressions comm11nistes d'aujourd'hui réitèrent en les amplifiant. Cette hostilité du m)nde m~derne ne peut mmquer d'avoir des causes profondes et c'est bien ainsi qu'elle a été ressentie par les croyants ; mais elle a provoqué chez eux des réactions fort divergentes qu'il est permis d'estimer naturelles, alors m!m'! qu'elles se contredisent. Chez beaucoup· d'entre 'eux, etTnotamm ..n. t parmi les membres de la haute Eglise, elle a fait prévaloir Biblioteca Gino Bianco 269 l'opinion que la civilisation moderne découlait de principes erronés et pervers ou, si l'on veut, diaboliques. Le fam ~ux Syllabus de I 864 fut souvent dénoncé par les historiens libéraux corn ".TI~ un défi à la société contem;,oraine et plus précisément à la philosophie révolutionnaire condensée en la déclaration des Droits de l'Homm~. On en convient sans peine, mùs à condition d'ajouter qu'il n'en pouvait être autrem~nt et que le catalogue des erreurs m )dernes dressé par Pie IX se présente sous la fonn~ de rigoureuses déductions à partir d'une imm :.iable doctrine théocentrique. Les axiom~s suréminents de la politique chrétienne étaient ainsi posés en une sévère clarté ; m1is il fallait bien s'apercevoir d'autre part que les chrétiens et l'Église m~m ~ vivaient dans le siècle et se devaient accommJder d'une situation durable. Cette concession à la réalité suscitait l'idée qu'à trop vouloir s'imm:,biliser dans son intransigeance, l'Église risquait de perdre l'audience des homm~s et d'apparaître comm ~ un vestige du passé; pour accomplir sa mission elle devait engager le dialogue avec le libéralisme, la démJcratie, le socialisme, la science positive, montrer qu'elle n'avait rien à redouter des pseudorévélations rationnelles. Par la force des choses, il y eut donc toujours une gauche catholique, un progressisme ou un mndernism ~ chrétien, l'histoire interne du m1nde catholique étant désorm1is rythm~e par les initiatives de l'aile marchante, à quoi répondent les rappels à la discipline théologique lorsque ces initiatives dépassent le but et conduisent à l'hérésie. Tenons-nous en à la politique. 11 est notoire que le clergé contribua dans une large mesure à mettre en branle la révolution de 1789 et l'on sait ce qu'il en advint ; au cours du x1xe siècle on put suivre le développement du catholicisme libéral et voir comment les curés de Paris bénissaient en 1848 les arbres de la Liberté. Une péripétie décisive s'accomrylit ou du m~ins se prépare sous le pontificat de Léon XIII dont on dit souvent qu'il est le promoteur du socialisme chrétien. C'est exact si l'on entend par là qu'en des encycliques célèbres il invitait les fidèles à se pencher sur les misères de la condition ouvrière ; mais il va de soi qu'il le faisait en fonction de la doctrine constante de l'Église et que son socialisme, si tant est qu'on puisse employer pareil terme, ne pouvait en rien se confondre avec celui des disciples de Marx. Pour en trouver la précise formulation laïque, il faudrait plutôt penser à La Tour du Pin, Albert de Mun, Léon Harmel. C'est d'ailleurs après la mort du pontife que le gauchisme catholique allait prendre son plein élan, non sans que son essor et ses succès ne fussent payés d'une croissante confusion des pensées. Le Sillon de Marc Sangnier, la Jeune République, premier noyau de la démocratie chrétienne en France, les Semaines sociales, les syndicats chrétiens, l'Action catholique, le parti des républicains populaires, expriment en bien

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