Le Contrat Social - anno II - n. 5 - settembre 1958

M. COLLINET semblent à des bandes guerrières où se retrouverait l'allégeance féodale. S'opposant à des partisans mal armés, elles s'adaptent à des méthodes de combat inefficaces dans un conflit entre puissances égales. Si la première est paralysée par une machine bureaucratique, les secondes prof essent le mépris du calcul stratégique, le goût du risque individuel, considéré comme une qualité propre aux Français. La combinaison bâtarde de ces deux états d'esprit produira dans l'histoire les désastres que l'on A connait. Le service obligatoire EN 1872, l'armée de métier cède la place à celle du service obligatoire, qui ne devient universel qu'après 1889. Cette réforme marque un tournant dans les institutions militaires. Elle s'imposait, d'abord pour opposer des effectifs nombreux à ceux de l'armée allemande. Mais elle répondait aussi au besoin de substituer à l'ancien instrument du pouvoir personnel un nouvel instrument, à la disposition de la nation, c'est-à-dire du Parlement qui la représenterait. En 1870, Fustel de Coulanges avait justement souligné la nécessité de rapprocher les institutions militaires des institutions politiques et formulé cet aphorisme : « Si l'armée n'est pas façonnée à l'image de l'État, c'est au bout de peu de temps l'armée qui façonne l'État à la sienne. » 22 L'armée de métier étant celle de la dictature césarienne ou de la monarchie absolue, il fallait à la République une armée nationale. Mais la République de 1875 était conservatrice ; cette armée devait donc être le pilier du conservatisme. A cette fin, l'inégalité dans le recrutement et la permanence des anciens règlements maintinrent dans la nouvelle armée l'esprit de l'ancienne. Le rapporteur de la loi, le marquis de Chasseloup-Laubat, émettait ce postulat de la République conservatrice : « Plus les institutions d'une société sont fondées sur les principes de la démocratie, plus il lui faut l'obéissance au supérieur qui est la discipline militaire. » L'armée devait donc être l'éducatrice de la discipline, et pour cela reposer sur un système à long terme. Une telle conception allait nécessairement amener de graves conflits politiques. Pendant une vingtaine d'années ceux-ci furent masqués par le désir d'une guerre de revanche contre l'Allemagne et la croyance généralisée que cette guerre était imminente. Les radicaux, tout autant que les conservateurs, s'employèrent à fortifier l'armée ; l'enseignement laïc fut créé dans cet esprit. En revanche, les familles aristocratiques reprirent goût à la vocation militaire, si décriée cinquante ans auparavant. Peut-être la crise agraire du dernier quart de siècle y contribua-t-elle en les éloignant de la gestion des propriétés foncières. Le système de cooptation utilisé pour l'avancement contribua 22. Citi par Montcilhet, p. 113. Biblioteca Gino Bianco 265 à faire du corps des officiers un refuge pour les éléments conservateurs de plus en plus écartés du pouvoir politique. L'armée divorça d'avec le suffrage universel hostile à l' « Ordre moral » d'autant plus aisément que, depuis 1830, elle n'avait jamais manifesté une sympathie active pour les idées démocratiques. Société fermée et hiérarchisée, incapable de s'intégrer à la société libérale, elle devait d'autant moins accepter les mœurs de la démocratie. Dans ses souvenirs écrits en I 894, le général du Barail l'explique très franchement : « L'esprit républicain et l'esprit militaire, écrit-il, sont deux états d'âme contradictoires et incompatibles. L'armée est une sorte de pyramide hiérarchisée et terminée par un chef absolu, que les liens de l'obéissance passive, de la soumission et du respect relient, par les élites étagées, aux foules qui dorment à la base. » 23 Après cette description objective d'une société fonctionnelle fermée, le général continue : « La République, c'est l'opinion publique maîtresse, c'est l'égalité absolue de tous, c'est l'écrasement de l'élite par le nombre, c'est le renversement de la pyramide. Rien que par sa devise, la République est la négation de l'armée, car liberté, égalité et fraternité veulent dire indiscipline, oubli de l'obéissance et négation des principes hiérarchiques. » Même s'il ne se manifestait pas par des actes publics, un antagonisme latent se creusait entre le régime démocratique et la société militaire dont les membres affichaient de telles opinions. · Un autre antagonisme se développait au sein même de la société militaire. L'armée de métier avait fondu en une seule masse les classes sociales d'origine. Entre l'officier d'origine bourgeoise sorti des grandes écoles, et le soldat issu du prolé~ tariat, un élément médiateur existait, d'autant plus solide qu'il avait passé sa vie entière sous les drapeaux : le corps des sous-officiers et des officiers sortis du rang. La situation se transforme du tout a~ tou! av~c.le_ser~ice obl~gatoire à ~emps réduit. L espr!t. ~taire s ap_puyait sur le lien corporatif des militaires professionnels de tout grade. Mais le civil mobilisé appartient à un autre monde il n'a ni le goût ni le temps d'acquérir l'esprit militaire; l'armée n'est ni une vocation, ni même un métier qu'on accepte faute de mieux : elle est une corvée légale dont on cherche à se débarrasser au plus vite et dans les postes les moins astreignants. En outre, le lien de l'ancienne armée, le vieux sous-officier rengagé, disparaît en grande partie. 24 Les écoles de différents degrés forment presque exclus~ve1!1entl,e corp~ des officie_rs,beaucoup plus éloigne qu autrefois de la vie quotidienne du simple soldat. Une faille se creuse donc entre l'appareil militaire et la masse des soldats mobilisés ; sentiments et opinions n'ont plus grand-chose de commun. 23. Cit~ par GirarJ t, p. I 3. 24. Cf. 1 t;itisti u d'd et d... dur d scrv1 fournit, par Pierre halmin d ns l'arti 1 d j citt.

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