M. COLLINET actuels illustre cette transformation d'une lutte pour l'indépendance en une autre pour le triomphe de ce mythe expansionniste qu'est le panarabisme. L'attitude de l'Inde dans l'affaire du Kachmir, et celle du nationalisme marocain dans sa revendication de la Mauritanie, montre combien le passage du nationalisme défensif ou revendicatif invoquant le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » au nationalisme impérialiste (au sens historique du mot *) devient aisé à la faveur de succès politiques d'autant plus marquants qu'ils se déroulent dans un plus grand vide politique. Ainsi le nationalisme conquérant sort du nationalisme opprimé comme la volonté de puissance sort du sentiment d'infériorité ; il en conserve alors le caractère obsessionnel, semi-instinctif, transformant en· agressivité le besoin d'évasion du peuple prisonnier. Au début du siècle G.B. Shaw a donné de la révolte de l'Irlande, alors occupée par les Anglais, cette description clinique : Une nation conquise est comme un homme qui souffre du cancer ; il ne peut plus songer à rien d'autre et il est forcé de se confier à des charlatans qui prétendent traiter le cancer et le guérir ... Une nation saine ne se soucie pas plus de sa nationalité qu'un homme sain ne s'occupe de ses os. •• Et Shaw ajoutait avec mélancolie devant le cauchemar du peuple d'Irlande : Les grands courants de l'esprit humain qui traversent l'Europe s'arrêtent à la côte irlandaise ... Le nationalisme se dresse entre l'Irlande et la lumière du monde. Le nationalisme est une de ces forces obscures qui s'emparent de la subjectivité populaire et imposent leur griffe sur tous les autres sentiments collectifs : ici il sera démocratique à la manière des jacobins, là il sera raciste ou fasciste à la manière hitlérienne; mais dans tous les cas, il est un écran entre le monde et la nation qu'il emprisonne, d'abord, et qu'il risque de dévorer ensuite. Si la force lui manque pour une entreprise d'agressions extérieures, quand la revendication proprement nationale est satisfaite, il évite difficilement les secousses intérieures : les problèmes politiques et sociaux délibérément écartés durant la lutte pour l'indépendance prennent une acuité d'autant plus grande qu'ils étaient comprimés ou volontairement oubliés dans la phase antérieure. L'exemple des nations ------- - • Non au sens marxiste, qui est beaucoup plu• ~troit. •• Prfface à John Bull', Oth,r I1land, 1904. Biblioteca ino Bianco • 189 créées ou ressuscitées en Europe centrale après la première guerre mondiale le démontre amplement. Les traités de Versailles et de Saint-Germain furent les exécuteurs testamentaires des révolutionnaires de I 848 ; ils consacrèrent le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » et divisèrent l'Europe centrale en nations indépendantes et jalouses les unes des autres jusqu'à l'absurde, c'est-à-dire jusqu'au moment où Hitler et son successeur Staline vinrent les unifier, chacun à sa manière. La notion de civilisation européenne était étrangère à la pensée d'un Clemenceau, élevé dans le jacobinisme du x1x0 siècle, et même à celle d'un Wilson, cherchant par la création purement juridique de la SDN une compensation illusoire à cette « balkanisation » du continent. Rien n'est attirant pour une forte puissance militaire comme le vide chaotique de nations voisines que l'indépendance formelle rend impuissantes ; à moins que, prenant les devants, ces mêmes nations en viennent à réclamer la protection du plus fort. 11 n'est pas exagéré de dire que la douzaine de nations européennes placées aujourd'hui à la périphérie de l'empire soviétique et qui hésitent encore trop à assurer entre elles une suffisante coordination politique et économique est un appât constant pour Moscou; d'autant plus important que la mainmise sur l'Europe occidentale renverserait, peut-être définitivement, l'équilibre mondial. DANS LA TRADITION politique française la tendance nationaliste n'a pas toujours été le f~it exclusif de ce qu'on nomme la droite. Au cours des vingt années qui suivirent la guerre de 1870, la gauche radicale, menée par Clemenceau et cultivant l'idée de la revanche contre l'Allemagne, apparut comme plus « chauvine » dans son esprit jacobin que le centre opportuniste de Jules Ferry. Elle se reconnut même, un moment, dans la personne du général Boulanger, le général « Revanche ». Mais après l'affaire Dreyfus, ce furent la droite <c plébiscitaire » de Déroulède ou de Barrès et la droite monarchiste de Maurras qui se réclamèrent du nationalisme. Après la première guerre mondiale, cette droite appuya la politique agressive du Bloc National contre l'Allemagne et les pays vaincus d'Europe centrale ; elle accusa de « trahison » les timides tentatives d'Aristide Briand en faveur
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