Le Contrat Social - anno II - n. 4 - luglio 1958

L. LAURAT aux tendances impérialistes, génératrices des tensions qui s'aggravaient entre les puissances européennes. Celles de Kautsky, 5 de Hilferding 6 et de Rosa Luxembourg, 7 bien que différentes, sont plutôt complémentaires que contradictoires. Mais elles ont le défaut commun de ne pas expliquer comment et pourquoi des rivalités économiques doivent fatalement dégénérer en conflagrations guerrières. Plus tard, au cours de la guerre de 1914-1918, Kautsky, approfondissant ses analyses, trouvera une explication que les événements allaient confirmer. Selon lui, les antagonismes économiques ne dégénèrent en guerres que là où un État autocratique, muselant ou supprimant la liberté d'expression et se soustrayant à tout contrôle public, peut se livrer à une politique agressive. Pour le dogme bolchéviste, au contraire, la guerre est la conséquence fatale de l'expansion économique. Quant à la lutte contre le danger de guerre et contre la guerre elle-même, les assises de la 11° Internationale avaient écarté les mots d'ordre de la grève générale et de l'insurrection. Elles recommandaient la lutte contre la guerre en général sans spécifier les moyens à employer, ce qui était naturel puisque tout le monde ignorait les conditions concrètes dans lesquelles la catastrophe pourrait survenir. Même l'amendement Martov-Luxembourg-Lénine, adopté par le Congrès de Stuttgart en 1907, se bornait à des généralités. On ne trouve dans aucun texte officiel une répudiation de la défense nationale, et aucune motion n'engage un parti socialiste à pratiquer le défaitisme. Marx et Engels, d'ailleurs, n'avaient pas non plus érigé le défaitisme en principe ni condamné la défense nationale. En 1915 encore, Rosa Luxembourg se déclare en faveur de la défense nationale, mais elle la conçoit autrement que la majorité de la socialdémocratie allemande. 8 Quant aux problèmes de la socialisation, les théoriciens socialistes ne les abordaient au début du siècle qu'avec une extrême circonspection, la perspective encore lointaine d'une accession au pouvoir leur interdisant d'en traiter concrètement sans se livrer à de vaines spéculations utopiques. Dans un petit livre publié en 1902, 9 Kautsky s'efforce cependant de dégager quelques principes généraux. Il précise d'abord ce que le socialisme « scientifique » avait toujours affirmé, à savoir que seules la grande propriété capitaliste et la grande propriété foncière seront affectées par la socialisation, laquelle ne vise aucunement la propriété artisanale ni la propriété paysanne. 11 estime que la révolution sociale sera « un proS· Op. cit., pp. 36-42. 6. Le Capital financier, 1910. 7. L' Accumulation du capital, 1913. 8. Rosa Luxembourg, La Crise de la démocratiesocialiste, pp. 121-129 et 161. 9. Trad. française sous le titre La Rwolution sociale, 1912. Biblioteca Gino Bianco 239 cessus de longue durée ». En ce qui concerne les modalités de la socialisation, il écrit (p. 145) : Il y a de nombreuses raisons de croire qu'un régime prolétarien préférera_ la voie du rachat et cherchera à dédommager les capitalistes et les propriétaires fonciers. La doctrine socialiste d'avant 1914 est ainsi caractérisée par une évolution certaine. Fort de l'expérience pratique d'un mouvement en expansion et des progrès réalisés dans la démocratie (si imparfaite soit-elle), le mouvement socialiste se dépouille peu à peu des illusions insurrectionnelles datant du milieu du xrxe siècle, il aspire à conquérir le pouvoir dans les formes légales et à l'exercer dans la liberté, il admet même . . . . , - quoique avec un scept1c1sme certam, comprehensible en son temps - la participation au pouvoir avec des partis bourgeois. Résolument hostile à la guerre, il ne verse cependant ni dans le défaitisme, ni dans la négation de la défense nationale. Il envisage la socialisation comme un processus graduel s'effectuant sous un régime démocratique, et il préfère le rachat à l'expropriation sans indemnité. On chercherait en vain un seul texte de Lénine s'élevant contre ces conceptions, avant la révolution d'Octobre. Le ·schéma bolchévik TOUTES ces conceptions évoluées du socialisme marxiste furent dénoncées comme hérétiques par les bolchéviks devenus maîtres de la Russie et chefs de la IIIe Internationale. La propagande communiste puissamment servie par le budget d'un État qui dépense sans compter est loin d'expliquer le fait déconcertant que depuis quarante ans tant d'Occidentaux considèrent le bolchévisme comme le seul détenteur de la doctrine socialiste authentique, voire comme l'incarnation du marxisme. Or, tout ce que les communistes prof essent est aux antipodes des idées que le socialisme a toujours défendues. Et pourtant, les notions nées du coup d'État d'octobre 1917 ont pu s'imposer en Occident comme un dogme hors duquel il n'est point de salut ; leur influence fut telle que le socialisme du monde libre, doutant soudain de lui-même, en fut contaminé dans une large mesure. Cette influence obsédante s'explique tout d'abord par le climat de l'époque. L'Europe tourmentée entrait dans son quatrième hiver de guerre et les « dix jours qui ébranlèrent le monde », suivis d'un appel proposant à tous les belligérants une paix « sans annexions ni indemnités » ( on n'était pas encore en 1945...), suscitèrent de la sympathie bien au-delà des milieux socialistes et syndicaux. Accompli par un parti ouvrier qui s'empressa d'ailleurs de substituer à son programme relativem ..n. t modéré de la veille un programme plus hardi, plus nettement socialiste, le coup d'État ne tarda pas à apparaître comme •

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