Le Contrat Social - anno II - n. 4 - luglio 1958

E. QUINET le plus grand bien de toutes les libertés, et il rés11mait en lui cette loi singulière que tous nos écrivains exposent l'un après l'autre, depuis M. Guizot jusqu'à Louis Blanc, à savoir que c'est par la servitude que se produit la liberté et que la tyrannie est mère de l'émancipation. Il est incroyable combien ces idées subtiles, byzantines, contraires à toutes les grandes et naturelles traditions de la nature humaine ont été répandues avec autorité par les uns et acceptées avec obéissance par les autres. Et c'est assurément un des sophismes les plus dangereux de notre temps. Pour moi, j'y vois une philosophie fausse, une politique fausse. Je serais bien heureux si vous étiez de mon avis. Voilà comment je m'explique ces trois déviations dans le faux : il y a d'abord au fond de tout cela une méconnaissance absolue de ·l'idée de la liberté. Quand nos historiens se battent les flancs pour légitimer tous nos despotes historiques et pour les réhabiliter, ils ne vont pas jusqu'à nier que toutes les franchises de la conscience n'aient été foulées ou détruites par ces grands hommes, mais, dans leur système, ils font de la liberté une pièce mécanique qui manque à l'édifice, un ornement qui le couronne. Là où ils voient des ordonnances sur les routes, les canaux, l'administration, ils croient voir le début de ce régime constitutionnel qu'ils poursuivent comme un mirage ; ils se disent : la matière d'abord, puis l'esprit, puis quand tout sera fini et comme clôture, la liberté viendra. Ce sera le deus ex machina. Ils n'ont pas aperçu que ce qu'ils consentent ainsi à ajourner, c'est la vie même, la conscience d'un peuple. Ils se sont enchaînés à glorifier tous les temps où la conscience, la liberté étaient anéanties, et ils n'ont pas senti que c'était l'avenir même qui était étouffé et extirpé en germe. Il en est résulté de cette philosophie fausse une histoire fausse. Je lis dans les meilleurs, par exemple, que le pouvoir absolu de nos rois a joué constamment le rôle du tribun ou du dictateur dans les démoBiblioteca Gino Bianco 235 craties antiques. M. Augustin Thierry luimême en arrive là. Pour moi, il est de plus en plus évident que c'est une des applications les plus trompeuses de l'Antiquité, et que par ce faux calque on défigure notre histoire. Le tribun supposait un peuple qui l'avait élu et qu'il représentait avec pleine conscience. Le roi Louis XI, Richelieu, Louis XIV, n'humilièrent l'aristocratie que parce que le peuple n'étant pas encore né, le pouvoir royal n'avait pas même l'idée qu'il pût jamais trouver un obstacle dans ce ver de terre. En outre, si l'on veut absolument trouver un rapport entre nos rois et les tribuns, il faut penser aux tribuns devenus empereurs, c'està-dire à là dégénération de l'institution. Ainsi par une érudition qui est une illusion, nos philosophes historiens cherchent le berceau de la liberté moderne dans ce qui a été la ruine de toute liberté chez les anciens dégénérés. Cette Histoire fausse engendre à son tour une politique fausse ; la pensée générale qui en résulte, c'est que la tyrannie enfante la liberté. De là cette complaisance dans l'opinion publique pour tous les genres de despotes. On est toujours disposé à louer les tyrans, à leur attribuer, dès qu'ils ont la force et les places en mains, une mission providentielle. Chacun en devenant esclave se vante de se conformer au grand plan, en lequel se construit l'édifice démocratique. Les plus vils obéissent à ce qu'ils appellent la loi de !'Histoire ; quant au peuple, voyant que personne ne lui conteste sa foi antique dans les despotes, il se contente des premiers qu'il rencontre : il est dans l'ancien courant des choses, et il s'y trouve bien. De tout cela je conclus que notre servitude a des racines prof ondes, qu'il faut travailler à ramener la vérité dans le passé même, pour sauver le présent ; que presque tout est à refaire ... • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • EDGARIQuINET •

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