LETTRE A VICTOR CHAUFFOUR par Edgar Quinet 28 décembre I 8 5 3. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • OUTES les écoles doctrinaires libérales et même républicaines se sont fait à peu près la m~me J?hilosophie. de !'Histoire de France, et Je crois cette philosophie fausse. Ces écrivains ont vécu sous des gouvernements de di_scus~ion .qui leur offraient une image de la liberte, soit dans la monarchie, soit dans la République. Ils ont cru que cette liberté ne pouvait plus être enlevée à la France, que le régime sous lequel ils vivaient et écrivaient n'aurait pas de suc- . . . , cesseur, qu'il ne serait Jamais re~vers~ : en un mot ils l'ont pris pour la c?ntmua~io~ de l'Histoire nationale. Le present ainsi compris ils s'en sont servi pour reconstruire ' , 1 le passé. Tous ils ont montre es quatorze siècles de !'Histoire de France comme une préparation, un ac~e~ineme~! vers c~tte forme sociale et politique qu ils touchaient de leurs mains, et qu'ils croyaient plus ou moins éternelle... Pour concilier la loi de formation de l'ancienne France avec ce qu'ils croyaient être définitif d~ns _lerégime ~ode~e, quelle étrange interpretation . des faits n_avaient-ils pas donnée ? Il fallait, dans le point de vue où ils étaient placés, que toute notre vieille histoire eût préparé, de siècle en siècle, l'avènement de la liberté constitutionnelle. Avec cette intention arrêtée, ils ne reculèrent devant aucun obstacle. La première difficulté, c'est qu'ils rencon~raient partout_ des rois absolus qui semblaient au contraire fermer le chemin à la liberté. Cette difficulté ne fut rien pour eux. Ils s'en tirèrent en établi~- sant ce grand principe que c'est par la tyran111:e que se préparait l' ~tab~sse~ent _de l'esprit moderne, chose qw m avait touJours paru bien suspecte. - Plus un homme avait été franch~ment despote, mieux ils reco!111~ssaien~en lui. l'un des précurseurs du liberalisme democr.atique. ·- Biblioteca Gino Bianco Quant ils arrivaient à Louis XI, c'était il? hymne ;iu créateur du nouv:eau mond~ P?~- tique : nivellement, agrandissement, ~galite, tous les progrès étaient d~ns ce~te pwssante tête. Si les contemporains n avaient pas apprécié ses bienfaits, c'était faute de profondeur. Ils s'étaient arrêtés à la surface du tyran, le fond en était excellent ; c' étai! _la vraie substance du Tiers État, de la bourgeoisie, ou plutôt du peuple pri~ ~an~ le ~en~ d'aujourd'hui. Ce que ces ecrivains disaient de Louis XI, ils allaient le répétant de chaque despote qu'ils avaient le bonheur de rencontrer. Certes, c'était un ami du peuple et de la liberté moderne, car il ramenait tout à lui et écrasait en conscience les communes et ce qui avait pu survivre des vieilles·franchises. Avec cette sentence monotone, on descend ainsi le cours des temps. Révérence profonde, ventre à terre devant le cardinal de RicheJieu. Il anéantit jusqu'à la tradition des Etats généraux, il met les écrivains sous ses pieds, il tient tout en laisse : preuve évidente qu'il est dans le système libéral, • constitutionnel, parlementaire, démocratique, républicain. Les ·esprits superficiels peuvent seuls résister à cet argument. Enfin nous touchons à Louis XIV, il commence par chasser le Parlement à coups de fouet - ah ! vraiment, nous reconnaissons là un des nôtres. Voilà encore un de nos ancêtres, à nous, amis de la liberté et de la démocratie. C'est le roi de la roture, il donne des poignées de mains à la bourgeoisie, c'est · presque Louis-Philippe - L'État c'est moi, dit-il. Précisément, l'esprit de la Convention. La révolution est presque achevée par le grand roi ; il n'y a q_uà' voir le mécontentj!ment du duc de Saint-Snnon pour comprendre que Louis XIV e~t malg_ré ln! le tribun, le dictateur de la democratie qw déborde. Une fois arrivés là, il n'en coûtait guère aux écrivains pour faire entrer Napoléon dans ce moule (et ici je ne suis pas sans ~éché) ; N apoléo~ était U?e ~ouvelle inca~natlon de .Louis XI, de Richelieu, de Lows XIV et . . , . ,, . des a~tres. 11 avait opprnne, mais c etait pour
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==