P.BARTON Une manœuvre de diversion : les conseils ouvriers LES EXPÉRIENCESs'inspirant directement du système yougoslave furent réalisées dans certaines fabriques dès le mois de ·septembre. L'initiative vint de l'usine d'automobiles FSO située à Varsovie, dans le quartier industriel de Zeran; 17 son exemple fut aussitôt suivi par l'usine de motocyclettes de Varsovie (WFM). A la FSO l'idée fut publiquement lancée par Miroslaw Zuzankiewicz, un secrétaire de la cellule communiste de l'entreprise, cette même cellule qui devait si efficacement soutenir Gomulka pendant les journées critiques d'octobre. Dans un article publié par le journal de l'usine, Zuzankiewicz décrivit les principes qui devraient présider à l'organisation de l'« autogestion ouvrière », ainsi que les fonctions que celle-ci devrait exercer. 18 Simultanément avec cette « initiative d'en bas » le président du Conseil Cyrankiewicz convoqua, le 28 septembre 1956, une conférence pour étudier les changements qu'il fallait apporter à la politique pratiquée dans le domaine de la gestion des usines. A la suite de cette conférence, une commission spéciale fut créée, composée de plusieurs hauts fonctionnaires, conseillers économiques du gouvernement et directeurs d'usines, ainsi que du secrétaire de la cellule de la FSO. 19 Cette synchronisation parfaite n'est guère surprenante lorsqu'on sait que la cellule en question conspirait depuis assez longtemps avec les dirigeants qui préparaient le renversement de l'équipe régnante. Ce fait fut révélé par un délégué des chantiers navals de Gdansk qui, s'adressant à un meeting après son retour de Varsovie, relata ce qu'on lui avait dit à ce sujet à la FSO: Lorsque la nation entière attendait avec enthousiasme la septième réunion plénière [juillet 1956], lorsque la nation demandait que cette réunion traçât la voie à une nouvelle marche en avant, de graves événements commencèrent à se produire. Les ouvriers de Zeran se trouvaient pendant tout ce temps en contact avec la section progressiste du Comité central et avec quelques ministres. Ils les rencontraient secrètement dans des maii;ons privées. 20 Un récit des événements par L. Gozdzik, un autre secrétaire de la cellule de la FSO, apporte des précisions supplémentaires : ce que le délégué de Gdansk appelait « les ouvriers de Zeran » était en réalité la cellule communiste ; et celle-ci avait noué ses relations avec les dirigeants dissidents dès avant les événements de Poznan. Ce témoignage permet en même temps de recons17. Trybuna Ludu, 4 novembre 1956. 18. Des extraits substantiels de ce texte furent reproduits dans Po Prostu, 30 septembre 1956. 19. Zycie Warsawy, 4 octobre 1956. 20. Discours diffus~ le 26 octobre 1956 par la radio de Gdansk. Cit~ d'apr~s Konrad Syrop : Spring in October, Weidenfeld and Nicol10n, Londres, 1957, p. 83. Biblioteca Gino Bianco 227 tituer les circonstances dans lesquelles les futurs coéquipiers de Gomulka utilisèrent l'idée des conseils ouvriers pour entamer une manœuvre de diversion. Suivant Gozdzik, ce sont les responsables de sa cellule qui conçurent cette idée, mais dès le printemps de 1956. Et s'ils s'adressèrent, alors, à des membres du Comité central, ce fut, dès cette époque, pour obtenir leur soutien en ce sens. 21 Or, la campagne en faveur de la création des conseils ouvriers ne fut entreprise qu'au mois de septembre, après que le projet de loi sur les conseils d'entreprise se fut heurté, parce que trop libéral, à la défiance de certains hommes • au pouvoir. L'aspect équivoque de cette manœuvre se confirme aussi lorsqu'on examine les réactions ouvrières. -L'« autogestion » ne fut pas acceptée sans réserves. Les mineurs des charbonnages de Katowice, par exemple, lui trouvèrent un caractère plutôt factice. En réalité, déclaraientils, ce n'est pas à l'échelon de l'entreprise que sont prises les décisions d'importance capitale. 22 D'autres disaient : « Quel avantage pouvons-nous en tirer ? Est-ce que cela ne nécessite pas la création de cadres supplémentaires et d'un appareil bureaucratique ? » 23 D'autres encore affirmaient : « Les conseils ouvriers ont été créés pour que nous nous tenions tranquilles. »2 4 Ou bien : « Le Parti veut détourner l'attention des travailleurs· de la grande politique et c'est pourquoi il leur offre l'autogestion. » 25 On peut donc estimer qu'en dépit de son potentiel démagogique se slogan se serait difficilement imposé si la classe ouvrière avait pu organiser, dans des assemblées libres et dans la presse, son propre débat. Fait non moins révélateur, Zuzankiewicz proposa, dans un article publié par le journal de la FSO, de placer l'« autogestion ouvrière» sous la tutelle de la cellule communiste : Au cas où l'autogestion de l'usine adopterait une ligne incompatible avec les propositions du Parti et du gouvernement, une réunion plénière du comité d'usine du Parti ouvrier unifié polonais lui retirerait sa confiance, ce qui entraînerait de nouvelles élections. [... ] En cas de désaccord entre l'autogestion et la direction, le directeur a le droit d'en appeler au comité d'usine du Parti. Après avoir consulté des spécialistes employés dans l'entreprise ou venant de l'extérieur, ce comité tranchera le différend. Ce principe ne fut pas formulé aussi ouvertement par la suite, mais différentes déclarations officielles indiquent qu'il ne fut jamais abandonné ; on peut mentionner en ce sens les déclarations de Gomulka à une conférence nationale des mili21. Des extraits substantiels de cc récit publi~ dans Nowa Kultura, 20 octobre 1957, furent reproduits par Lucienne Rey dans Est et Ouest, 16-31 d~cembre 1957. 22. Trybuna Ludu, 24 novembre 1956 et 31 janvier 1957, 23. Ibid., 4 novembre 1956. 24. Zyci, Warszawy, 4 avril 1957. i5. Trybuna Ludu, 4 novembre 19s6. ' •
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