P. BARTON . K. Kapinski a fort bien décrit l'obstacle auquel on s'était heurté : Les, sections ~u Parti et ses organes dirigeants ont amene les syndicats à se concentrer, unilatéralement sur la production. [...] Lorsque les ouvriers faisaien; de justes réclamations, on leur reprochait des « velléités de consommation», de la sensiblerie, des survivances de_l'~s~rit social-démocrate. [... ] Ces pratiques ont abouti meluctablement au relâchement des liens entre les syndicats et la classe ouvrière, au fléchissement de leur capacité de mobiliser cette dernière et au déclin de leur autorité non seulement auprès des masses mais également, car les deux choses vont de pair, auprè~ des organes de l'administration économique. 5 Dans un effort désespéré pour abattre le mur de l'indifférence derrière lequel se tenait la classe ouvrière, les syndicats se mirent à solliciter les critiques. Mais ils n'avaient aucune possibilité d'obtenir pour les travailleurs une amélioration réelle de la situation matérielle et sociale. Bien au contraire, celle-ci ne cessait de décliner. Aussi la manœuvre ne fit-elle qu'aggraver le problème. Les inspirations plus ou moins vagues se transformèrent, dans le feu de la discussion, en revendica~ons P;écises. A 1:automne 1956, le quotidien syndical declara fort a propos : « Depuis un an, le gouffre séparant la classe ouvrière des syndicats s'est approfondi. Pour finir, la classe ouvrière avait son programme et les syndicats avaient le leur.» 6 On ne saurait mieux dire. Mais il convient d'ajouter que le programme ouvrier ne mettait pas seulement en cause les pratiques des syndicats offic~el~: il se révéla incompatible avec le système tot~taire dans so~ ensemble. Ses principaux pomts peuvent se resumer comme suit: 1. Abolition des prescriptions relatives à la discipline de travail, ainsi que de la législation sociale antiouvrière, retour aux règles antérieurement en vigueur; 2. Abandon de la fixation autoritaire des conditions d'emploi, retour aux conventions collectives librement débattues en vue d'obtenir une augmentation substantielle des salaires et le rétablissement de conditions de travail plus humaines ; 3. A l'intérieur des usines, représentation authentique du personnel, indépendante vis-à-vis du directeur et librement élue sans ingérence de ce dernier ni du Parti ; 4. Syndicats indépendants, affranchis de la tutelle du Parti et débarrassés du bureaucratisme, se consacrant à la défense des intérêts économiques et sociaux des salariés; 5. Représentation parlementaire des syndicats, susceptible de porter à la connaissance de la Diète l'opinion des ouvriers sur chaque projet de loi. A ce stade, la discussion syndicale sortit de son cadre initial de réunions dans les usines. Les S Now, DrJgi; 1956, n° 6. 6. G/01 Pracy, 22 novembre 1956. Biblioteca Gino Bianco 225 reve~dications ouvrières se frayèrent peu à peu la voie dans les asse~~lées organisées par le Parti, dans des organes dirigeants des syndicats, dans la presse. C'est ainsi que, sous le titre retentissant « Le Parti ne devra plus « commander » les s_yndicats», on put ~re dans le quotidien syndical le compte rendu d une conférence convoquée à Opole par le Comité régional du Parti ouvrier unifié polonais. Ce texte citait in extenso les interventions de plusieurs militants accusant leur _p~opre parti d'ayoi~ asservi les syndicats, favorise la bureaucratisation de ceux-ci, protégé les escrocs, terrorisé des syndicalistes honnêtes soutenu des directeurs désireux de domestique; les comités d'entreprise, etc. 7 Débordés, les dirigeants essayèrent de reprendre le dessus en répétant les critiques formulées par les ouvriers. Mais ils · se gardèrent bien d'embrasser leur progr~e .. Par exemple, l'article déjà cité de K. Kapmski dans Nowe Drogi, qui décrivait si pertinemment la déchéance des syndicats sous la férule du Parti, aboutit à préconiser la bonne recette déjà mille fois recommandée et. autant de fo~s ~iolée : le P~rti ne devrait agir sur les or~a~~atlons professionnelles que par l'intermediaire de ses propres adhérents groupés en «fractions» communistes au sein des organes syndicaux dont ils font partie. Même son de cloche dans le discours de clôture prononcé rar _lesecrétaire _dui:arti _àla conférence d'Opale, egalement mentlonnee ci-dessus. C'était recommander au parti au pouvoir de se contenter du simple noyautage. Les réactions ouvrières Une telle disproportion entre le mal stigmatisé et les remèdes offerts ne pouvait, tant elle trahi,ssait la mau~aise foi ~es dirigeants, qu' exasperer les ou_vriers. Aussi la grande explication entre ceux-ci et le faux syndicalisme totalitaire tendait-elle à passer des paroles aux actes. Dans l'atmosphère ~e plus en plus tendue, certains organes syndicaux furent entraînés dans la révolte: En voici l'exemple le plus éloquent : en mai 1956, le Comité fédéral des travailleurs du transport décida de passer outre à toutes les prescriptions fixant d'autorité les conditions de tr~v~ e~ de salaire. et de reprendre à ce sujet les neg~ciatlons collec?ves. Profitant du fait que les anciennes conventions collectives, depuis longtemps caduqt1es, n'avaient jamais été formelle- ~ent ~ulé~s,, ~ chargea, son prresidium, comme s1 de rien n etait, de denoncer les conventions « en vigueur » et de proposer aux administrations compétei:ites des a~c.ords_nouveaux, garantissant aux ouvriers des amelioratlons en matière d'impôts de salaires et d' œuvres sociales. 8 ' L'équipe au pouvoir, usée jusqu'à la corde commença à battre en retraite. Puis, sous le coup 7. Ibid., 12-13 mai 1956. 8. Ibid., 25 ma· 1956. •
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