214 continue à régir la police. On sait que, la veille, Robespierre a attaqué Cambon, que Cambon a injurié Robespierre et que Cambon reste quand même ministre des finances. Si Saint-Just avait fait approuver son discours par le Comité, s'il parlait en son nom, tout le monde l'acclamerait. Mais dans le doute et la peur, chacun se dit : « Moi, je suis pour les hommes qui sont au pouvoir. Devraient-ils tomber, leurs successeurs sauront peut-être gré aux acquiesceurs impénitents, sinon de leur attitude immédiate, du moins de leur docilité fondamentale. Un ministre peut-il nous reprocher d'avoir, en toutes circonstances, voté pour les ministres ... Au pis, on pourra . toujours dire : que voulez-vous ? on m'avait trompé ! » Au pis, on pourrait toujours répondre à Saint-Just : que n'avez-vous démissionné ? Que n'avez-vous commencé votre discours en disant : « Le Comité, je n'en fais plus partie. Je le quitte, pour conclure contre lui. » L'attitude ambiguë des robespierristes et la panique générale provoquent une confusion dans laquelle toutes les idées, toutes les valeurs se brouillent. 11faut un étrange renversement pour qu'un Tallien - dont la corruption est patente et l' amphigourie ridicule - puisse faire taire le héros de Fleurus. C'est pourtant ce qui arrive. L'archange de la Terreur reste debout, blême, muet, lui qui, peu de jours auparavant, chargeait les Autrichiens. Mais quoi ! Bonaparte n'est pas moins déconcerté que Saint-Just, le 18 brumaire, par les Cinq-Cents qui hurlent. ·Chez Saint-Just, il y a aussi le dégoût - et plus encore - le sentiment de l'absurde. Tout est absurde. Robespierre, d'abord, qui s'étonne de voir le Marais lâche et Fouché assassin. Cette assemblée affreuse, qui dormait, qui ·Biblioteca Gino Bianco , . BICENTENAIRE DE ROBESPIERRE mourait, terrorisée, c'est lui qui l'a ressuscitée, et c'est elle qui le tue. Non moins absurdes d'ailleurs les modérés qui se rallient à Collot, à Billaud, aux anciens hébertistes, au patron de Fouché, de Carrier. Et plus absurdes encore les Montagnards qui déchaînent, parce qu'ils la redoutent, la réaction qui ne peut pas les épargner. Mais pourquoi, dans ce monde désespérant, quelqu'un comprendrait-il ? Saint-Just s'enferme dans son silence comme dans un linceul. Pas plus à la Commune qu'à la Convention, ni dans la charrette qui le mène au supplice, il ne dira plus un mot ... · Quant à Robespierre, il voit bien qu'il sombre tout ensemble dans la tragédie et dans une sorte de vaudeville sinistre. 11 a voulu être, rester à tout prix, l'homme de la légalité. Le Comité de Sûreté Générale l'avait dirigé vers le Luxembourg. Coffinhal, donc, ne le trouve pas aux Tuileries. Sur l'ordre du Conseil Général, le conci€rge du Luxembourg refuse de le recevoir ; on le mène, de force, à la mairie. Du moins refuse-t-il de se rendre à l'Hôtel de Ville : Coffinhal et Hanriot l'y entraînent. Insurgé malgré lui. Tout le quitte. Son étoile, du moins, lui demeura fidèle. Il voulait terminer la Révolution, dont il était le symbole. Des contrerévolutionnaires lui avaient quand même préféré les massacreurs les plus chargés de crimes et de sang. Ils lui préféraient Carrier, tant il ne faisait qu'un avec la Révolution. Dominé par sa propre image. Malgré lui, sans doute, il mourut en révolutionnaire, illustre _ victime de la réaction, que, probablement .il appelait, mais qui le tua. Équitable et glorieuse injustice ! EMMANUEL BERL , ,
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==