212 ne parlait pas de l'ttre Suprême, afin de ménager Amar, et n'incriminait pas Fouché, afin de ménager Collot d'Herbois, lequel se savait indéfendable, une fois Fouché condamné. La tension était grande. Robespierre, comme la plupart des hommes de la Révolution, se plaisait à regarder son propre destin d'un œil mélancolique. Il se vit seul contre tous, avec sa vertu et Couthon. Il avait voulu être conciliant, les autres voulaient le duper, l'humilier, l'isoler, en attendant de le perdre. Il décida do.ned'aller devant la Convention, de prononcer son discours et de déclencher son offensive. Lui aussi, pensa : la victoire ou la mort. Le 6 au soir, pourtant, aux Jacobins, quand on le prie de dénoncer les ennemis de la Patrie - ce qu'il fera le surlendemain, à la Commune - il entre en fureur, exige, obtient l'ajournement. C'est que la lutte des personnes, dans le Comité, ressemble moins à celle de la Commune et de Versailles qu'à celle des commissaires bolchéviks après la mort de Lénine et _de Staline. Du point de vue des partis, des classes, que signifiait Béria ? Que signifiait Malenkov ? Devons-nous le situer à la gauche de Khrouchtchev, ou à sa droite ? Probablement, il s'en est fallu d'un mot, d'un regard, pour que Billaud-Varenne exaspère moins Saint-Just, pour que Saint-Just lui-même exaspère moins Robespierre. Celui-ci s'est probablement froissé de ce que Saint-Just prenait, devant lui, l'air supérieur d'un arbitre, après avoir pris - fût-ce malgré soi - l'air supérieur de celui qui revient du front, de la tranchée, de ·1a victoire. Saint-Just avait été son disciple respectueux. Il était devenu son égal. Voulait-il devenir son maître ? Les rapports de Saint-Just avec Henriette Duplay - que Robespierre regardait comme une sœur - après avoir été tendres étaient devenus secs. La confiance dans les conciliations suppose la confiance dans les conciliateurs. Saint-Just n'est sans doute pas innocent dans la décision désespérée que prend Robespierre. Ce grand suspicieux a dû douter si Saint-Just s'opposait à son opération politique, crainte qu'elle échoue, ou crainte qu'elle réussisse, s'il craignait davantage la chute de Robespierre ou son triomphe. Probablement, il ne désirait ni celui-ci, ni celle-là. Il avait raison de craindre l'échec. Il a eu tort de laisser Robespierre croire que ce n'était pas sa seule crainte. Leur amitié était morte. Je suppose que Saint- }ust se l'est reproché avec amertume, quand il vit Robespierre abattu. Biblioteca Gino Bianco BICENTENAIRE DE ROBESPIERRE Il reste d'ailleurs que son opération faillit réussir. Le discours, que tout le monde - à commencer par Saint-Just - allait critiquer, - la Convention l'applaudit d'abord et en ordonna l'affichage. CAMBON, comme on sait, fit tourner le vent. Et le discours devint obscur, à partir du moment où les députés cessèrent de le comprendre. Il n'était pas obscur. Et il n'était pas malhabile. Malraux dit qu'il n'était pas raisonnable d'attaquer Carnot, ministre de la guerre, au lendemain de Fleurus. Mais l'attaque contre Carnot ne souleva pas de grandes protestations. C'est la réponse fulgurante de Cambon qui s'avéra funeste. Reprocher au ministre des finances la cherté de la vie, la misère des retraités, des rentiers, comme fit Robespierre, ne réussit généralement pas si mal aux orateurs qui le font. Les députés qui venaient d'applaudir Robespierre, parce qu'il dénonçait un gouvernement qu'ils haïssaient, devant la véhémence de Cambon se souvinrent que ce gouvernement était encore au pouvoir, et que Robespierre en faisait partie. Là étaient l'ambiguïté et l'obscurité. Les députés, qui avaient d'abord suivi leur sentiment, songèrent à leurs personnes et se reprirent. Ils s'aperçurent avec terreur que Robespierre venait de les dresser contre les Comités, quand lui-même n'avait pas rompu avec eux. Ils se demandèrent : « Quelles têtes veut-il, au juste ? » Il venait de faire conspuer le gouvernement par la Chambre, mais c~aque conventionnel n'en restait pas moins sous la menace des Comités, et Robespierre ne s'était pas engagé à défendre chacun personnellement. Il pouvait jouer de son succès .même pour se réconcilier avec ses collègues du gouvernement contre tel ou tel député, qu'il fût de la Plaine ou de la Montagne. Pour les convaincre qu'entre lui et le Comité de Salut Public, le Comité de Sûreté Générale, tout était vraiment, irrévocablement, rompu, il aurait fallu - avant de prononcer son discours - faire les couloirs. Depuis· plusieurs semaines, Robespierre se rendait rarement à la Chambre. L. Barthou y voyait une des principales causes de sa chute. Par une longue expérience, il était persuadé qu'un homme politique perd toujours le contact avec le _ Parlement plus vite qu'il ne suppose.
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