Le Contrat Social - anno II - n. 4 - luglio 1958

E. BERL sauvetage de Jourdan. Et il restait aussi le pacifiste - antibrissotin - que les généraux inquiétaient, que les victoires même impatientaient, celui qui avait dit à Carnot, publiquement : « Je vous attends à la première défaite ! », qui substituait Couthon à Barère, pour qu'on parle avec moins d'emphase des « héros » et de « leurs triomphes », qui pensait : « On dirait que ces triomphes-là n'ont rien coûté ! » N'aurait-il pas eu conscience de ces ambiguïtés, Saint- Just la lui aurait fait prendre. L'opération que projetait Robespierre lui répugnait. Il était plus jeune. Il vivait aux armées. Il ne pouvait voir sans irritation, sans déception, sans crainte, renaître en Robespierre le vieil homme, le vieux parlementaire de la Constituante - pour qui la politique finit toujours par se réduire à l'élaboration d'un discours et à la quête d'une majorité. Il n'était pas moins exaspéré que Robespierre par Carnot, qu'il soupçonnait de collusion avec l'Autriche. Son projet d'expédition en Hollande lui paraissait « insensé ». Il était convaincu que s'il n'avait pas empêché Carnot de donner à Pichegru les effectifs qu'il voulait prélever sur l'armée de Jourdan, la bataille de Fleurus aurait été perdue. Mais, pour lui, les membres du Comité restaient quand même des hommes avec lesquels on pouvait causer. En appeler contre eux aux « hommes du Marais », aux Tallien, aux Carrier, aux anciens Girondins, devait lui sembler à la fois démentiel et dégradant. Il pensait d'ailleurs, non sans raison, que ses collègues du Comité, en général, ne le détestaient pas. La situation des ennemis de Robespierre n'était ni moins inquiétante, ni moins confuse. Les « grands spécialistes » avaient toutes raisons de se méfier. La nécessité d'une opération politique devenait évidente, et ils ne savaient pas la faire. Contre les Enragés, ils avaient eu Hébert, Robespierre, Danton; contre les hébertistes, Danton et Robespierre ; contre Danton, Robespierre et les tribuns de l'extrême-gauche. Contre Robespierre, qui avaientils ? Billaud triomphant leur aurait rendu la vie encore plus difficile. La bataille de Fleurus était gagnée, celle du ravitaillement semblait presque perdue. Les techniciens étaient, comme toujours, en quête d'un politicien. Celui-ci, si on le trouvait, ne serait-il pas pire que Robespierre lui-même ? Carnot avait été exaspéré qu'on discute son autorité et qu'on suspecte même son patriotisme. Mais Lindet hésitait. 11 Biblioteca Gino Bianco • 211 hésitait encore le 8. Barère hésitait plus encore. Quant à Billaud et à Collot, comment n'auraient-ils pas craint de rester tête-à-tête avec les « spécialistes » - à leurs yeux, réactionnaires - qui avaient sans cesse travaillé à l'élimination de tous leurs pareils ? La réaction thermidorienne était trop proche, et paraissait donc déjà trop probable, pour qu'ils ne l'aient pas du tout envisagée, pour qu'ils ne l'aient pas du tout redoutée. Ce n'étaient pas des enfants. Rompre avec les Jacobins, mendier les voix des modérés pour promouvoir une politique de gauche pouvait devenir nécessaire, mais ne pouvait pas leur paraître séduisant ... LE FAITRESTEq, uand· même, que les tentatives de conciliation de Barère et de SaintJust échouèrent. De là, pour nous, la tentation de regarder cet échec comme fatal, de l'insérer dans la nécessité d'une vaste dialectique : nous voulons tous que le réel soit rationnel. Nous risquons ainsi, par excès de màrxisme, d'oublier la précision méticuleuse de Marx. Et nous risquons aussi de rendre la politique inintelligible aux historiens, en même temps que l'histoire aux politiques. Ils savaient bien, eux, la part de contingence que comportent les événements. Mathiez - après Aulard et, d'ailleurs, Victor Hugo - voulait que le conflit de Robespierre et de Danton, ait été, métaphysiquement, irréductible, qu'une conciliation entre eux fût inconcevable, comme celle de la féodalité terrienne et de la bourgeoisie mercantile, comme celle de Venise et du Grand Turc. Mais les amis communs de Robespierre et de Danton n'ont pas désespéré - jusqu'à la fin - de maintenir ou de rétablir leur accord. Quand, par exemple, Lenôtre suppose que Robespierre demandait à Danton où se trouvait Louis XVII, que Danton n'a pas pu ou n'a pas voulu le lui dire, et que Robespierre, pour ce motif, s'est résigné à le faire guillotiner, il énonce une hypothèse qui - même si elle est inexacte - n'est pas invraisemblable. Tout porte à croire que Robespierre, qui le 5, avait repris contact avec ses collègues, le 6, l'a regretté. Il s'est senti, ou s'est cru, joué, trahi, non seulement par Carnot - qui, éloignant de Paris les canonniers, affaiblissait Hanriot, créature de Robespierre - mais par Saint-Just, qui, dans son rapport, •

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