GANDHI ET MARX par Léon Emery LE LIVRE de !'Hindou Corvesal dont nous venons de reprendre le titre* n'est pas par lui-même d'une extrême densité, encore que son intérêt soit fortement augmenté par l'adjonction de deux longues préfaces, l'une de Lanza del· Vasto, l'autre de Vinoba; mais il a le grand mérite de faire voir en une perspective simple et claire un des problèmes majeurs de notre temps, problème qui d'ailleurs nous touche plus directement que, d'emblée, nous ·ne sommes tentés de le croire. Au lendemain de sa libération, l'Inde bénéficiait d'une autorité morale et d'un prestige dont il n'est pas sûr qu'ils aient entièrement subsisté ; on se demande aujourd'hui, non sans anxiété, ce que sera son destin, sur quelle pente glissera l'énorme masse famélique que le régime actuel s'efforce d'arracher à sa misère et à sa passivité ; on ne se dissimule pas que de son choix, ou du choix que le sort fera pour elle, dépendra peut-être l'équilibre du monde moderne. Mais cela, pour être bien compris, exige un bref retour sur le passé. Les traits originaux de l'univers hindou sont connus ou soupçonnés, même du grand public ; on sait qu'il fait vivre très péniblement sur un sol mal cultivé une population fourmillante, ligotée depuis des siècles dans la prison des castes, piétinée par bien des envahisseurs, exploitée par les princes et les usuriers, installée dans sa torpeur, sa faiblesse et sa pauvreté. Mais il faut se hâter d'ajouter que de ce terreau informe et noir sont sorties les fleurs admirables d'une très haute vie spirituelle. Nul doute que l'Inde ait été, en compétition avec l'Orient • Krishorlal Mashrouwala: Gandhi et Marx. Paris, Dcnoël. Biblioteca Gino Bianco méditerranéen et l'Occident chrétien, le berceau des plus nobles spéculations religieuses et philosophiques. Il va sans dire qu'elles furent l'œuvre d'une élite, mais elles restèrent en harmonie avec les croyances populaires qu'elles purent ainsi efficacement moraliser, éclairer d'un rayon d'en haut. Qu'il en soit résulté confirmation du fatalisme hindou, dédain de l'action et de la science positive, préférence accordée au rêve et à la contemplation, on le peut soutenir, tout en rendant hommage à la fécondité d'une influence éducative sans laquelle la vie indienne n'aurait été qu'un douloureux cauchemar peuplé de tigres et de serpents. Sans référence constante à ce climat religieux, la prodigieuse histoire de la révolution gandhiste demeurerait inintelligible. On ne commence à la comprendre qu'en pensant à l'époque où saint Bernard soulevait les foules et les lançait dans l'exaltante aventure de la croisade. Encore Gandhi agissait-il dans des conditions plus défavorables que celles dont l'abbé de Clairvaux avait dû tenir compte, car il ne disposait pas du soutien d'une Église organisée et prêchait d'autre part une croisade désarn1ée, réduite au sacrifice volontaire de la liberté et de la vie. Il convient ici de se demander si un maître implacable n'aurait pas pu noyer dans le sang l'insurrection de la non-violence et de rendre justice aux Anglais, somme toute modérés et cléments, bien éloignés de l'état d'esprit qui leur fit férocement écraser la révolte de 1856. Quoi qu'il en soit, les paroles, les jeûnes expiatoires et le rouet de Gandhi, moyens d'action dont riaient les réalistes et les sceptiques, fomentèrent une révolution nationale dont l'ampleur et la
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