Le Contrat Social - anno II - n. 3 - maggio 1958

CORRESPONDANCE Les obsèques de Plékhanov DANS NOTRE dernier numéro, nous avons publié une lettre de Dmitri Schreider relative aux funérailles de Georges Plékhanov et contredisant un passage de l'article d' Isaiah Berlin paru dans le Contrat social de novembre dernier (n° 5), contredisant aussi une affirmation de la Pensée russe. La bonne foi de D. Schreider ne saurait être mise en doute et il ne nous est pas venu à l'idée de vérifier ses dires. A tort, car il faut toujours vérifier, comme le prouvent les protestations suscitées par la lettre en question et qui réfutent D. Schreider de façon décisive. En effet, nous avons maintenant sous les yeux : 1. le compte rendu des obsèques de Plékhanov, par Ludovic Naudeau, publié dans le Temps du 23 août 1918; 2. une série de photographies montrant un cortège immense, surmonté d'innombrables drapeaux rouges, bannières et banderoles, marchant derrière le convoi mortuaire sur la perspective Nevski jusqu'au cimetière; 3. les discours prononcés devant la tombe par vingt-six orateurs, au nom d'organisations ouvrières et socialistes; parmi eux ne figure pas Kritchevski, que D. Schreider mentionne comme étant le seul. Voici les ·noms de ces orateurs dont les paroles profondément émouvantes et très courageuses défiaient l'autorité gouvernementale, à ce moment, dans des conditions tragiques : Plékhanov est mort le 30 mai 1918 en Finlande et les obsèques ont eu lieu à Pétrograd le 9 juin, trois mois après la conclusion du traité de Brest-Litovsk, alors que le pays était dans le chaos et que la famine se faisait déjà durement sentir. Nous n'avons pu identifier plusieurs des délégués ou représentants qui ont rendu un dernier hommage à la mémoire du défunt : - Léon Deutsch et Alexandre Potressov, deux des fondateurs (avec G. Plékhanov et Véra Zassoulitch) du groupe « Libération du Travail », noyau originel du parti social-démocrate, et fondateurs du fameux journal lskra [l'Étincelle]; - - Smirnov, délégué des ouvriers de la fabrique de cartouches ; - Simon Semkovski, social-démocrate connu, plus tard rallié aux bolchéviks ; . - Guizetti ( ?), au nom des socialistes révolution- • ruures ; - Glebov, ouvrier de la cartoucherie ; - Alexandre Smirnov, délégué d'une usine de mécanique ; (à cet endroit, le compte rendu sténographique dit que la pluie commence à tomber et que l'on descend le cercueil au tombeau; les assistants chantent Mémoire éternelle et Vous êtes tombés victimes); - Koltsov ( ?) ; Minkov ( ?), ouvrier de Rybinsk ; - Selezniev ( ?), de la papeterie de l'État ; Smirnov( ?), ouvrier de l'usine Poutilov; Elniev, représentant du Bund; - Volkov, délégué de l'Union des Coopératives de consommation ; Dnievnitski ( ?) ; Koubikov ( ?) ; Kaufman ( ?), au nom de la Caisse de Secours mutuels ; - Kapralov ( ?), délégué de la Marine marchande ; Borodouline ( ?) ; Traouian, de l'organisation ouvrière lettonne ; Fatraian, du parti révolutionnaire arménien ; Biblioteca Gino Bianco 183 -:-- .Gut~~n, a:u ,nom du Comité central du parti soc1ahste JUif un1?e ; Guedoni ( ?) ; lakovlev ( ?), au nom d'une organisation des employés ; Léontiev ( ?) ; - enfin, X..., ouvrier dont le nom n'a pas été sténographié, déclare que « la liste des orateurs est encore loin d'être épuisée», mais au nom du Comité d'organisation des funérailles dit que le Comité ne croit pas possible de maintenir l'assistance dans un tel ét~t de tension et lui propose de se disperser, ce qu'elle fait au chant de la Marseillaise. * )f )f Ainsi la lettre de notre correspondant D. Schreider était complètement erronée. Il est regrettable que les vingt-six discours en question ne soient pas imprimés et accessibles aux personnes intéressées. B. Nicolaïevski pourrait sans doute identifier plusieurs des orateurs que les noms de famille ne suffisent pas à situer. Il est regrettable aussi que nous ne puissions reproduire les photographies montrant la grande affluence, digne et recueillie, qui a défilé derrière le cercueil de Plékhanov porté par de fervents disciples. Du moins pouvons-nous citer, sur ce point, l'essentiel du témoignage de Ludovic Naudeau, celui-ci témoin oculaire des funérailles. Sa correspondance de Pétrograd, datée simplement « juillet », n'a paru dans le Tenzps que le 23 août, sous le titre « Fête funèbre». Ce retard s'explique par le fait que L. Naudeau avait été mis en prison à Moscou et que sa lettre a dû cheminer lentement par des voies indirectes. Voici ce qu'écrivait L. Naudeau: Ce fut un dimanche lugubre et solennel. De l'inquiétude planait dans l'air chargé de moiteurs. Que surviendrait-il? Quelque échauffourée n'éclaterait-elle pas au passage du cortège? Pourtant, malgré ces craintes, bien des citoyens s'étaient à l'avance massés aux endroits principaux où il avait été annoncé que la procession funèbre se déroulerait ... Il était une heure et quart quand je la vis déboucher au lointain de la rue Gorokhovaïa ; elle était comme surmontée d'un grand vol de bannières rouges. Des hymnes se lamentaient, s'amplifiaient à mesure qu'elle cheminait vers nous, très lente1nent. Des chaînes d'ho1nmes et de femmes se tenant tous par la main, à la manière russe s'avancèrent d'abord. Puis ce fut un extraordinaire défi.li de co~ronnes, de gerbes et de palmes, toute une flore splendide et enrubannée d'écarlate ; certains de cesfunèbres trophées étaient si volumineux et si lourds qu'il fallait, pour les porter, deux ou trois personnes! Les citoyens qui étaient chargés du couvercle du cercueil parurent ensuite mais déjà tous les regards étaient tournés vers le cercueil lui-même, qu'on voyait s'approcher, sinistre sur son mouvant piédestal d'épaules humaines. ( ... ) Ces chants alternaient avec les marches funèbres que faisait retentir un orchestre de marins portant, au béret, le ruban de l'ancienne garde impériale. Puis le corbillard viàe roula devant nous, très lentement, un rnonumental corbillard blanc et argent que tiraient six destriers caparaçonnés d'amarante. Et ce fut enfin, pendant près d'une heure enco~e, U7! d_éfiléde hautes bannièr~s écarlates, sur lesquelles des inscnptions solennelles évoquaient la carrière politique de Plékhanov. Toutes sortes de députations socialistes marchaient sous ces emblèrn~s et je restai longtemps, songeur, à regarder leur flot disparaitre com,ne une coulée de vagues rouges dans la 111élancolied un ciel plut.'it:ux.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==