A. BLANQUI . ses mains incapables et sanglantes, retombait dans celles du maître légitime. Au surplus, l'instinct populaire avait deviné le réacteur. Il n'a pas été défendu au 9 thermidor. On a beau rejeter sa défaite sur sa nullité d'homme d'action, son défaut de courage militaire, l'intervention personnelle du tribun n'était pas indispensable au succès de l'insurrection. Robespierre siégeait à !'Hôtel de Ville avec Saint-Just, Couthon, Lebas, avec la Commune si vigoureusement organisée. S'il n'entendait rien à la guerre, SaintJust, lui, en avait l'habitude et l'énergie. Depuis un an, il marchait à l'avant-garde des armées, entraînant au feu généraux et soldats. Il n'était pas homme, dans une question de vie ou de mort, à se laisser paralyser par les incertitudes ou la timidité de Robespierre, et rien ne l'empêchait de prendre la tête du mouvement, l'initiative de l'attaque. Mais non ! Il sentait autour de lui la froideur, la défiance, le soupçon. Les âmes étaient glacées. Le vide se faisait autour de Robespierre et de ses amis. Le cœur du peuple n'était plus avec eux. Le supplice des Cordeliers, la renaissance mélodramatique des mômeries religieuses avaient profondément blessé ses sentiments révolutionnaires. Il comprenait que la tendance nouvelle était hostile à la Révolution et se refusait à subir et surtout à seconder l'impulsion rétrograde. Dominé et intimidé par l'ascendant si longtemps applaudi du Pontife Jacobin, il n'osait pas résister, mais il ne suivait plus. Le silence et l'inertie étaient sa seule opposition. L'enthousiasme avait disparu. Le doute, l'hésitation, le découragement, l'indifférence avaient succédé à cette fièvre dévorante, dont les accès jusqu'alors balayaient tous les obstacles. IL N'Y AVAIT plus de peuple au 9 thermidor. Robespierre l'avait démoralisé et frappé d'hébétement avec ses projets de dictature réactionnaire et de reconstitution religieuse. La mort de ses anciens tribuns, la réapparition des vieilleries métaphysiques, contre-courant rétrograde imprimé par le nouveau pontife, avaient glacé et pétrifié l'âme du peuple, qui n'est jamais si prêt qu'on veut bien le dire à adorer le lendemain ce qu'il brûlait la veille, et à brûler ce qu'il adorait. La blouse toute poudreuse de la poussière des temples démolis et des idoles renversées, il n'!lcceptait pas la réédification des idoles et des temples. Les sermons du grand-prêtre n'avaient pas la vertu de changer brusquement la haine en vénération, ni de lui inspirer le dégoût de ses propres œuvres, brûlantes encore du feu de la fournaise. Robespierre a tué la Révolution en trois coups : l'échafaud d'Hébert, celui de Danton, l'autel de l'~tre Suprême. Frappée à mort, elle trébuche, chancelle quelques instants et tombe pour ne plus se relever. La victoire de Robespierre, loin de la sauver, n'eiit été pour elle qu'une chute plus profonde et plus irréparable. BibliotecaGinoBianco 171 Étrange logique des thuriféraires ! La fête de la Raison n'est qu'une scène de tréteaux, une dégradation de la conscience publique, une débauche pleine d'ignominie ; la fête de !'Être Suprême, une cérémonie sublime, magnifique élan de tout un peuple, une résurrection de la conscience, une réconciliation de la terre et du ciel. Là, orgie infernale ; ici, l'agape céleste. En vérité, où voient-ils ces contrastes dans les deux manifestations ? Quelle différence peut-on saisir dans l'appareil et les emblèmes de ces fêtes ? La mise en scène est absolument la même. La raison d'un côté, la nature de l'autre, deux divinités qui n'ont point de reproche à se faire ; s'il y a une préférence spiritualiste à donner, c'est sans contredit à la raison, émanation de l'intelligence, plutôt qu'à la nature, expression de la matière. Mais point de querelle de préséance. L'ordonnateur de la Mascarade Robespierriste, David, suivant sa manière, y a prodigué les chars gigantesques, les mannequins habillés en vices et en vertus, et destinés les uns au bûcher, les autres à l'apothéose. Mêmes décors à peu près que dans le carnaval d'Hébert. Si ce n'est David qui l'a organisé, c'est au moins son goût, le goût du temps. Ici, on brûle la statue de l'athéisme, là celle de la superstition. Partout avec accompagnement de fleurs, de jeunes filles en blanc, de vieillards en bleu, sur le fond écarlate de la place de la Révolution. Comme tableau à grand spectacle, les deux exhibitions se valent et valent à peu près les kermesses flamandes ou les parades catholiques. Peutêtre un peu plus de grandeur, un peu moins d'oripeaux et de clinquant. En somme, mêmes décorations, mêmes hochets. Pourquoi donc ici tant d'admiration et d'applaudissements, là tant d'invectives et de huées? Tantôt hosannah, tantôt anathème? C'est que probablement, avec des pompes identiques, ces deux processions quelque peu renouvelées des Grecs glorifiaient des idées bien contraires. Oh ! certes, jamais principes plus hostiles ne se traduisirent en démonstrations plus semblables. Les deux doctrines qui se disputent le monde ont tour à tour, à quelques semaines de distance, envahi le pavé de Paris et provoqué les bravos de la foule. Quel mortel antagonisme entre ces journées ! L'une, la fête d'Hébert, était le dernier mot et le couronnement des conquêtes philosophiques du XVIIIe siècle ; l'autre, la fête de Robespierre, en était le démenti, le repentir et la répudiation; d'abord l'ensevelissement joyeux du passé, puis, tout à coup, sa résurrection. Paris, convié à ces spectacles si ressemblants d'apparence, si opposés de signification, les vint à tour de rôle saluer de ces acclamations qui ne manquent jamais aux scènes théâtrales. Le peuple en rapporta deux impressions bien diverses : de la premi re, 1 délire de la victoire ; de la seconde, le press ntiment et la conscience de la défaite. Il comprenait qu la Révolution venait de passer de l' Arc de Triomph aux Fourches Caudines, du Capit le à la R che Tarpéienne. AUGUSTE BLA QUI
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