Le Contrat Social - anno II - n. 3 - maggio 1958

168 l'imposture ne rejaillissent sur la morale qu'on a eu l'adresse de confondre perfidement avec elles. Tandis que les uns présumaient s'élever par les charmes de l'esprit et par l'élégance des manières, d'autres, moins éclairés ou moins patients, confiaient leur avenir à la vigueur de leurs bras, à la force de leurs poumons et aux ressources de l'intrigue et de l'improbité. A côté des uns et des autres, un nombre assez restreint d'hommes de vertus et de bonnes intentions conçurent la possibilité de tout abattre pour tout réédifier sur un plan nouveau, non pour s'élever de rang et de fortune, mais uniquement afin de changer le sort du peuple ace 1blé sous le poids de la fatigue, de la misère, de l'ignorance et du mépris. - C'est de ce mélange hétérogène que furent tirés par le peuple français, plus à cause de leurs qualités éblouissantes que de leur mérite réel, les députés à cette Convention, véritable macédoine sur laquelle la vertu n'exerça de l'empire que par la fermeté de quelques membres et par l'influence quelquefois menaçante du dehors. - De toutes les communes de France, Paris était celle qui réunissait le plus grand nombre d'amis éclairés et ardents de la révolution et de l'égalité ; et c'est à cause de cela que, sous différents prétextes, tous les partis récalcitrants ont cherché à le rendre suspect au reste de la nation et à en diminuer l'ascendant. Sous la Convention, ce fut là une tactique favorite des Girondins. - A peine la royauté eut-elle fait place à la république, qu'ils firent pleuvoir un déluge d'injures et de dénonciations sur la municipalité de Paris, à laquelle ils reprochaient surtout de n'avoir pas gardé, dans la tourmente du 10 août, dont le succès fut en grande partie son ouvrage, l'ordre symétrique d'une partie d'échecs. Robespierre défendit alors avec une grande éloquence le peuple et les magistrats de Paris. Il insista avec tant de raison sur le devoir où étaient les législateurs de mettre à l'écart toutes les discussions personnelles pour s'occuper exclusivement des intérêts de la patrie, que les exécutions tumultueuses des 2 et 3 septembre mêmes furent perdues de vue. Les intérêts sur lesquels Robespierre appelait l'attention de l'assemblée étaient la défense du territoire menacé d'invasion, l' affermissement de la république naissante et les institutions qui devaient assurer le bonheur et la souv~- raineté du peuple. - Quoiqu'à cette époque le langage des Girondins eût à certains égards quelques points de contact avec celui des Montagnards dont Robespierre était l'organe principal, on n'apercevait pas moins la différence énorme qui existait dans leurs opinions, dans leurs tendances et dans leurs vœux. La Gironde visait à l'inégalité, au faste, au pouvoir des riches, aux mœurs relâchées; chez Robespierre tout était égalité, simplicité, moralité et amour sincère du peuple. Cette différence explique l'acharnement avec lequel les Louvet, les Brissot et leurs amis s'attachèrent à calomnier et à injurier Robespierre et à lui enlever la réputation dont il jouissait auprès du peuple de Paris. La fermeté de ses sentiments lui valut de la part de ces messiet1rs une imputation perpétuelle d'entêtement, d'orgueil et de jalousie .. BibliotecaGinoBianco PAGES OUBLIÉES Les Montagnards voyaient dans les Girondins des sophistes habiles, désireux de remplacer les anciens grands; ceux-ci haïssaient, dans les chefs de leurs adversaires, l'austérité de mœurs et d'opinions dans lesquels ils lisaient leur propre condamnation. Plusieurs des juges de Louis XVI n'aperçurent dans cet accusé qu'un coupable à punir. Robespierre y vit de plus la royauté à foudroyer et l'ordre républicain à établir : négligez, disait-il, les formes qui ne sont pas applicables à un tyran; frappez Louis et hâtez-vous de rendre de bonnes lois. Il ne votait la peine de mort que contre les ennemis des droits du peuple. C'était surtout à la tribune des Jacobins qu'il développait toute sa pensée. Il fut l'âme de cette société, à laquelle la sagesse de ses doctrines rallia tout ce que le parti populaire avait de plus éclairé et de plus pur. Cependant, quelques grains d'ivraie s'y trouvèrent mêlés au bon froment et ce mélange, qui y sema quelquefois le trouble, nécessita des épurations dont les suites grossirent les causes des maux publics. La licence de l'ancienne Cour, 1nêlée au désordre du nouveau gouvernement, avait donné naissance à un relâchement de morale qui offrait un contraste pénible avec les vertus que la révolution avait enfantées. La corruption s'était glissée dans les autorités publiques et même dans la Convention, 011l'on compta des concussionnaires et des mandataires infidèles. On en fut alarmé, et Robespierre en témoigna son indignation à la tribune nationale et aux Jacobins. Deux factions, celle d'Hébert et celle de Danton, firent le désespoir des bons citoyens. Après l'expulsion de la Convention des députés girondins, une constitution fut proposée au peuple, qui lui donna ~ sanction. Cependant, deux motifs, dont on sentit généralement l'importance, en firent suspendre la mise en activité; elle fut remplacée par le gouvernement révolutionnaire qui devait durer jusqu'à la paix ; le premier motif portait sur l'impossibilité de comprimer constitutionnellement les ennemis royalistes ou bourgeois, armés contre la réforme populaire ; le second tirait sa force de ce qu'on ne pouvait se flatter que les institutions, ·dont la république avait un urgent besoin, seraient l'ouvrage de nouveaux députés nommés par le peuple agité par les factions et ballotté par la guerre civile. Les hébertistes et les dantonistes avaient provoqué l'établissement du gouvernement révolutionnaire ; depuis, ils conspirèrent pour le détruire : les premiers ne le trouvaient pas assez sévère, les derniers disaient qu'il l'était trop. Les hébertistes prêchaient la violence, l'impudicité et l'athéisme; ils voulaient empêcher l'accomplissement de- la mission dont le gouvernement révolutionnaire était chargé ; ils dégoûtaient le peuple de la révolution. Une morale moins furieuse, mais plus corruptrice et plus dangereuse, caractérisait l'autre faction. Le plus grand malheur fut que la gangrène dévorait les entrailles de la Convention, au sein de laquelle ,Danton professait, aux applaudissements de nombreux disciples, l'amour de l'ai"gent, la soif .des puissances, l'indifférence politique et le mépris

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