166 PAGES OUBLIÉES OBSERVATIONS SUR MAXIMILIEN ROBESPIERRE par Philippe Buonarroti SI NOUS entreprenons d'émettre notre opinion sur cet illustre législateur, c'est parce que nous pensons que sa vie publique offre de sages leçons aux réformateurs et parce que le récit de ses malheurs jette un grand jour sur les causes qui empêchèrent la République de s'établir en France. Dès son adolescence, Robespierre fut probe, modeste et studieux; il prit de bonne heure la défense du faible contre le fort, de la raison contre le préjugé ; il arriva aux États Généraux, en 1789, plein de vénération pour la mémoire de Rousseau, dor,t il rr. édita les écrits toute sa vie; déjà il aimait et plaignait le peuple, abhorrait les grands, méprisait les faiseurs d'esprit et était convaincu que tout était à réformer dans l'ordre civil et politique de la France. La vie publique de Maximilien embrasse presque en entier les cinq premières années de la révolution française du XVIIIe siècle ; pendant ce temps, il fut tour à tour écrivain, magistrat, orateur et législateur. A l'Assemblée constituante, il se fit remarquer par des idées qui, tout opposées qu'elles étaient aux prétentions des royalistes de l'ancien régime, s'éloignaient cependant beaucoup du système politique des hommes influents de cette Assemblée; il tirait du principe de la souveraineté nationale des conséquences rigoureuses que ses collègues affectaient pour la plupart de couvrir de mépris. De ce nombre furent les opinions qu'il émit au sujet de la garde nationale, de la loi martiale, du massacre du Champ-de-Mars et de la révision. Dès lors Robespierre pensait que la révolution devait changer du tout au tout la condition matérielle et morale des classes laborieuses; tandis que pour le côté révolutionnaire de l'Assemblée la grande affaire était de transférer à la bourgeoisie riche, raisonneuse et active, l'autorité dont la noblesse et le clergé· avaient envahi toutes les branches. Ce fut dans cet esprit tout populaire qu'il réclama l'admission, dans la garde nationale, des prolétaires qui en furent exclus ; qu'il repoussa la brutalité de la loi martiale ; qu'il s'indigna du massacre du Champ-de-Mars; qu'il combattit la distinction des citoyens en actifs et non actifs ; qu'il s'opposa à la révision de la constitution et à la réintégration de Louis XVI après la fuite de Varennes. BibliotecaGinoBianco Lors du massacre dont nous venons de parler, Robespierre fit, par une adresse mémorable, connaître au peuple français ses doctrines populaires, et dévoila les vues sinistres de la faction bourgeoise et constitutionnelle. A la suite de ce carnage, le seul Robespierre soutint le courage mourant du parti de l'égalité, qui se maintint à la société des Jacobins presque anéantie par la défection des députés que La Fayette entraîna au club aristocratique des Feuillants. Ce qui paraissait alors à Robespierre bien plus important que la destruction de la royauté, c'était l'anéantissement des aristocraties et l'établissement complet de l'égalité; aussi ce fut après s'être convaincu que tel n'était pas l'esprit des membres révolutionnaires de l'Assemblée, qu'il se méfia des projets républicains de quelques-uns d'entre eux et qu'il provoqua le déêre:t._qui les excluait tous de la prochaine législature; il entendait frayer le chemin à la ·république par l'accroissement de la vertu sur laquelle elle doit s'appuyer. Sous l'Assemblée législative, il refusa les fonctions d'accusateur public pour se soustraire à l'obligation de faire exécuter des lois faites par les riches contre la masse du peuple. Quoiqu'on en ait dit, Robespierre était sensible et humain : il proposa l'abolition de la peÏI1:e de mort et l'adoucissement des autres peines. Dans les relations privées, il était généreux, compatissant et serviable, mais il était sévère et inflexible contre la tyrannie, l'injustice et l'immoralité. Dans l'intervalle qui s'écoula entre la clôture · de l'Assemblée constituante et le renversement du trône, arrivé le 10 août 1792, la vie de Robespierre fut partagée entre les devoirs d'écrivain et ceux d'orateur à la tribune des Jacobins. En cette double qualité, il ne cessa de combattre à la fois les trames de la Cour et ' les intrigues du parti bourgeois prêt à abandonner La Fayette royaliste, pour se ranger sous le drapeau de la Gironde, flottant entre la royauté par elle protégée et la république instituée aristocratiquement. Cette tâche était d'autant plus épineuse que les Girondins, hostiles eux-mêmes à l'ancienne noblesse, au clergé et au régime d'autrefois, jouissaient d'une grande popularité, fruit de leurs talents et de leur langage semi-populaire. Fidèle à sa conscience, Robespierre dut souvent plaider la cause des malheureux et des opprimés
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