.f. HOOK Les événements récents derrière le rideau de fer ont démontré que l'humanisme socialiste, malgré d'excessives prétentions à la nouveauté, présente une continuité remarquable par rapport aux formes traditionnelles de l'humanisme occidental, continuité qui s'affirme quoi qu'en aient aussi bien les porte-parole officiels de la doctrine que ses détracteurs occidentaux. Le nouvel homme soviétique - le nouveau citoyen d'un monde communiste, armé de nouveaux critères du vrai, du bien et du beau - a pu faire l'objet des vantardises de Staline et des craintes du monde libre; mais il n'existe pas. En dépit du principe de la partiinost qui les voue à l'affirmation partisane du matérialisme dialectique, les intellectuels communistes, chercheurs scientifiques ou historiens, n'ont pas cessé de discerner la vérité du mensonge, le fait de la fiction. Un retour pur et simple au passé est exclu après la tentative maladroite de déstalinisation mise en scène par les complices de Staline, après la déclaration polonaise d'indépendance, après le soulèvement héroïque de la nation hongroise contre l'occupation des Soviets. Même sans guerre ni intervention extérieure, et même en dehors de toute révolution violente, l'élite intellectuelle de tous les pays communistes n'en continuera pas moins de prùduire, à chaque génération et dans chaque groupe ou classe sociale, des esprits critiques, nourris de l'idéal de liberté qu'ont exprimé les classiques de la tradition humaniste, mais aussi ceux du marxisme ; les hommes ne manqueront pas pour mesurer l'abîme qui sépare, en régime communiste, les promesses des réalités, pour juger que les nouveaux dirigeants ont trahi presque chacun des principes d'émancipation dont s'est BibliotecaGinoBianco 151 inspiré le mouvement socialiste. L'existence de tels hommes, soit qu'ils s'expriment, soit qu'ils gardent un silence lourd de sens, assurera une opposition permanente à la tyrannie tant culturelle que politique. C'est une donnée de l'histoire des sociétés totalitaires du xxe siècle qu'une fois le « dégel >> amorcé dans n'importe quel domaine culturel, il a tendance à s'étendre, non seulement aux domaines voisins, mais aussi aux formes politiques. D'où l'amertume et la rage que les dirigeants communistes soviétiques éprouvent à l'endroit des intellectuels hongrois et polonais ; ils sont bien placés pour comprendre qu'à la longue, l'hérésie en matière de science ou d'art débordera sur la politique. La logique de la situation est telle que toute concession dans le domaine artistique, littéraire ou scientifique entraîne des conséquences inattendues, qui impliquent à leur tour de nouvelles concessions ; en cas de refus, la sincérité et l'authenticité des premières concessions se trouvent aussitôt mises en question. L'histoire montre que souvent les changements s'enchaînent et s'accélèrent, pour peu que le premier pas soit fait, que les choses enfin aillent moins mal. L'espérance inspire la volonté d'agir, au lieu que le désespoir la paralyse (surtout s'il s'agit d'une action comportant des risques). Nous pouvons être certains que le léger avant-goût que les peuples des pays satellites viennent d'avoir des libertés dont ils étaient privés depuis une dizaine d'années, les mettra fortement en appétit. Il se peut même que cette noble faim s'étende à l'U11ion soviétique. (Traduit de l'anglais) SIDNEY HooK •
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