150 à ce sujet le mot « lutte de classes ». En tout cas, et quelle que soit l'interprétation qu'on en donne, il existe dans l'idéal marxiste une tendance dynamique immanente vers l'élargissement de la démocratie, et un impératif de révolution permanente contre tous les enchaînements de maux qu'engendre le fonctionnement des sociétés. Marxisme et communisme En tant que système philosophique, le marxisme est plutôt rudimentaire, mais jamais la société de l'avenir ne lui est apparue comme la fin ou le procès même de l'histoire, à la façon de Hegel incarnant l'Idée absolue ou les voies de la Providence dans l'État prussien. Le communisme étant somme toute une maladie de l'idéalisme, il peut fort bien ne pas résister au virus du libéralisme politique, dès lors qu'il ne s'endurcit pas en un fanatisme qui fait du Parti un fétiche, au lieu d'un simple instrument. L'histoire rappelle que les bolchéviks ont pris le pouvoir en Russie sous la bannière de la fraction de gauche du parti socialiste-révolutionnaire. Pendant quelque temps, ils ont laissé vivoter - et se débattre - d'autres partis socialistes. Sur le papier (mais sur le papier seulement), même des partis bourgeois auraient pu fonctionner. A l'occasion, et dans le dessein de faire ressortir la différence entre la dictature comme instrument social et économique, et la dictature comme arme politique, Lénine affirmait qu'il était parfaitement concevable que la dictature du prolétariat abatte la bourgeoisie dans tous les secteurs sans toutefois la dépouiller de son droit de vote. S'il est essentiel, précisait Lénine, de supprimer la bourgeoisie comme classe économique, il ne l'est pas de priver ses membres du droit de vote et de l'égalité devant la loi. Ce que les bolchéviks entendaient assurer ainsi aux partis bourgeois et, plus tard, à tous les autres partis, c'était qu'à condition de ne s'opposer en aucune façon au programme du parti communiste après la prise du pouvoir, ils seraient en principe autorisés à subsister - encore qu'il soit difficile de comprendre à quoi pourrait rimer une telle existence fantomatique. En ce qui concerne les formations ouvrières ou socialistes qu'il considérait comme rivales, le fanatisme bolchévik aboutit à des conciusions analogues. Il ne pouvait en être autrement, les bolchéviks étant absolument convaincus que toute divergence sérieuse avec leur Parti entraînait, par définition, des conséquences objectives « contre-révolutionnaires ». Les régimes communistes de l'Union soviétique, de la Yougoslavie et de certains pays satellites se présentent ouvertement comme dictatures de parti unique. Au contraire, en Chine, en Pologne, en Tchécoslovaquie et dans l'Allemagne de l'Est, le parti communiste exerce son monopole sous le couvert d'une coalition avec d'autres partis, souvent organisés pour les besoins de la cause. Les communistes se paient volontiers le luxe de tolérer ces organisations-fantômes dès lors qu'elles servent de paravent démocratique ; pourtant, dans certains BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL concours de circonstances (et en particulier dans les pays satellites où les aspirations à l'indépendance nationale sont puissantes), ce décor démocratique peut leur revenir de plus en plus cher. A cet égard, le régime de Gomulka n'a pas son pareil, puisqu'il s'efforce de réaliser l'impossible : maintenir la dictature du parti communiste tout en renforçant l'indépendance du parti paysan. L'échec est inéluctable, mais Gomulka et ceux qui le soutiennent n'en ont pas moins le choix : échouer dans leur tentative d'encourager l'existence d'autres partis politiques, ou échouer dans leur effort pour demeurer de bons bolchéviks. Du point de vue de la démocratie, ceci, bien entendu, vaudrait mieux que cela. Lorsque Gomulka déclare : « C'est une idée mesquine de prétendre que seuls les communistes peuvent édifier le socialisme, ou que seuls peuvent le faire ceux qui ont en matière sociale des vues matérialistes », il mérite certes d'être d' applaudi, et plus fort encore lorsqu'il s'exprime en moraliste pour donner du socialisme la définition suivante : « le système de la justice sociale». Lorsque, avec pareille conception du socialisme, Gomulka préconise « la compétition entre notre Parti et le parti paysan, entre toutes les tendances favorables au renforcement du système socialiste », il s'éloigne beaucoup plus qu'il ne le croit de la conception léniniste et stalinienne. Il en est de même lorsqu'il préconise la reviviscence des institutions parlementaires, n'hésitant pas à les appeler à des tâches législatives plus importantes, à la supervision de l'œuvre gouvernementale et au contrôle des organes de l'État, ou encore lorsqu'il déclare « Selon moi, le contrôle du Sejm sur l'appareil exécutif du pouvoir d'État devrait être exercé par une institution directement subordonnée au Sèjm, et non pas, c~mme cela a été le cas jusqu'à présent, p;;1r un organe émanant du gouvernement luimême. » Qui donc, en entendant ces paroles ne reconnaîtrait pas, sous l'incertitude et la réticence verbale, la pure doctrine de la démocratie parlementaire?* L'expérience hongroise Norribre des mesures de « déstalinisation » qui se font jour dans les pays communistes sont certes réversibles. Les distances qu'elles marquent par rapport aux excès d'une collectivisation totale et • aux formes les plus brutales du terrorisme de parti sont en effet motivées par des considérations de stratégie politique, qui peuvent se retourner du jour au lendemain. Néanmoins, elles constituent du point de vue idéologique et institutionnel autant de foyers de contagion dans le corps politique du communisme. Si ces germes d'hérésie se répandent dans le flux sanguin du marxisme, ils peuvent provoquer des fièvres aiguës dans l'immédiat et des langueurs chroniques par la suite, d'où résulteraient à la longue de profonds changements • organiques. * Toutes ces citations sont extraites du discours de Gomulka devant le v111e Plénum du Parti, le 20 octobre 1956.
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