Le Contrat Social - anno II - n. 3 - maggio 1958

148 théoriques de Marx et de Lénine. * Le développement de l'industrie socialiste, déclara-t-il, doit aller de pair avec une démocratisation progressive de toutes les relations sociales : « Les êtres humains ne doivent pas devenir, dans un système socialiste, les esclaves de l'appareil d'État, quels que soient les intérêts supérieurs invoqués. » Pour rendre les travailleurs indépendants de la machine étatique, il importe de renforcer leur position économique et sociale en élargissant le contrôle démocratique des ouvriers à l'usine et dans les villes. C'est seulement ainsi que l'État pourra dépérir selon la prévision marxiste, au lieu de devenir un monstre dévorant à la Frankenstein. Pour Kardelj, la grande affaire est d'obvier à la bureaucratisation du socialisme - inévitable, selon lui, « à moins que les producteurs ne prennent une part active, directe et croissante à la direction de l'État et de l'industrie ». Ceux qui, à l'imitation des apologistes de la Russie soviétique, voient dans une telle participation un danger pour la dictature du prolétariat, ferment les yeux sur le fait que « cette dictature, qu'ils appellent prolétarienne, est en l'espèce tout ce que l'on voudra sauf dictature du prolétariat, précisément parce qu'il lui manque un contenu démocratique ». Il serait ici hors de propos d'examiner les raisons qui ont motivé cette entorse théorique au stalinisme, de mesurer l'ampleur qu'elle a effectivement revêtue dans la pratique yougoslave, et de souligner l'exploitation politique qui en est faite. Tito, par exemple, tout en affectant de condamner, chez les staliniens hongrois, la résistance aveugle aux exigences légitimes des ouvriers hongrois, n'a pas hésité à se démentir en approuvant la suppression des conseils ouvriers en Hongrie, exigée par le pouvoir soviétique. Des considérations empruntées à la raison d'État décident évidemment de telles réactions officielles. Mais, une fois lancées à travers le monde, les idées, sans devenir pot1r cela strictement autonomes, peuvent mener une existence indépendante et exercer une influence propre. C'est en ce sens que la tendance particulière de l'hérésie yougoslave revêt de l'importance, non seulement en raison de son nationalisme, qui se traduit par l'affirmation de l'égalité de principe de tous les États communistes au regard de la cause commune, mais aussi à cause de son insistance sur une conception de la démocratie ouvrière dont les conséquences idéologiques, le jour où les circonstances matérielles deviendraient favorables, pour- ~aient atteindre une puissance explosive à peine concevable. Le monopole du Parti A considérer les principes dont se réclame le régime yougoslave, il apparaît - et c'est leur aspect essentiel - qu'il -suffit de les prendre au sérieux pour précipiter la fin du monopole politique du parti communiste. Dans la pratique le rôle du * Borba, 8 et 9 décembre 1956. Bibli_otecaGinoBianco LE CONTRAT SOlIAL contrôle ouvrier est moindre en Yougoslavie qu'en Pologne, encore que Gomulka lui-même se méfie des « conseils » de travailleurs**. Cela s'explique en partie par le fait que le parti communiste en Yougoslavie est plus monolithique, moins démocratique et plus proche du modèle stalinien que son pendant polonais. Le contrôle ouvrier, dans la faible mesure où il fonctionne effectivement en Yougoslavie, n'a pas été revendiqué spontanément par les ouvriers eux-mêmes, comme en Pologne (et, de façon plus éclatante, en Hongrie); il fut introduit sous l'égide et par l'initiative du parti communiste yougoslave. Or, un « contrôle ouvrier » qui est à son tour dominé par un parti, lequel s'appuie sur la police secrète - s'effondre de soi-même; il meurt d'ennui et d'abandon, comme ce fut le cas des soviets et des syndicats en Russie. En principe, par l'organe des conseils, les travaille·urs reçoivent au moins quelque apparence de pouvoir (si craintivement surveillés qu'ils soient par les chiens de garde du Parti). Selon la tournure que prennent les choses, cette ombre de pouvoir prend corps, ou bien retourne au néant. Le rôle naturel du contrôle ouvrier est de permettre aux courants oppositionnels, là où ils existent, de se manifester dans les formes légales. Quelque obscure et ambiguë que soit la position de Kardelj, si soucieux qu'il soit de se ménager une sortie, les « orthodoxes » ne s'y trompent pas ; la violence même dç leur réaction aux idées de Kardelj témoigne de l'intérêt que présentent celles-ci pour souligner la contradiction entre les tendances démocratiques et les tendances totalitaires du socialisme. Répondant à Kardelj dans le Kommunist (n° 18 de 1957) - il s'agit du principal organe théori~,ue du PC de l'URSS - un certain Roumiantsev constate qu'en substance Kardelj présente l'État soviétique comme une nouvelle forme d'État de classes, où le titre légal de propriété a bien été transféré aux ouvriers et aux paysans, mais où en fait les travailleurs sont exploités par l'appareil d'État, ses fonctionnaires et ses pensionnés; la lutte de classes continue donc dans la société dite socialiste. de l'URSS - non plus, il est vrai, entre les masses laborieuses et les capitalistes ou propriétaires fonciers (aujourd'hui disparus) mais entre les travailleurs et la nouvelle classe composée des dirigeants communistes, des cadres supérieurs et des divers privilégiés qui les suivent. Roumiantsev tente d'abord de s'en tirer par un simple haussement d'épaules, comme si l'absurdité d'une telle interprétation sautait aux yeux, ce qui ne l'empêche pas ensuite de la discuter pied à pied. Si, par définition, les travailleurs en URSS possèdent leurs instruments de production, comment prétendre qu'ils sont exploités, à moins qu'ils ne s'exploitent eux-mêmes? Roumiantsev ntglige, en l'espèce, la possibilité d'une définition fallacieuse; en s'en réclamant pour refuser d'admettre comme des ** Cet ârticle a été rédigé avant les ·récentes mesures concernant les conseils ouvriers polonais, qui marquent un « durcissement» que laisse prévoir l'auteur. N. d. l. R.

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