Le Contrat Social - anno II - n. 3 - maggio 1958

S. I-JOOK marxisme-léninisme-stalinisme traditionnel, une révision plus radicale encore que le titisme et le maoïsme. Car il s'ensuit immédiatement d'une telle définition que le socialisme n'existe pas en Union soviétique et dans les « démocraties populaires >>, puisque la population de ces pays est parfaitement consciente d'être exploitée et opprimée économiquement, culturellement et politiquement. Il s'ensuit aussi qu'on devrait considérer comme socialiste toute société du type dont rêvaient les penseurs du XVIIIe siècle, société composée de petits propriétaires cultivant leur propre sol et d'artisans utilisant leurs propres moyens de production. En effet, dans une telle société où personne ne travaille pour autrui, personne ne peut être exploité ... La conception même des « voies multiples » engendre fort naturellement celle du « communisme national », tellement redoutée du Kremlin - et, par suite, de Tito et de Gomulka eux-mêmes. Car si le national-socialisme s'éloigne profondément du socialisme tel qu'il est présenté par le Manifeste · con1muniste, le « communisme national» ne s'éloigne pas moins des vues traditionnelles du communisme international. Il convient de souligner à ce propos - sans vouloir jouer sur les mots - que le communisme national a pris corps d'abord non chez Tito, mais dans la Russie de Staline. C'est le stalinisme qui, en ajoutant une exégèse de quelques mots, donna au Manifeste communiste cette conclusion nouvelle : « Prolétaires de tous les pays, unissezvous ... pour défendre l'Union soviétique. » Propriété et pouvoir La question qui se pose ici est de déterminer s'il est possible, compte tenu à la fois de l'idéologie officielle et des réalités incontestables, d'arracher l'enveloppe totalitaire externe de la doctrine communiste en dégageant, en examinant et en réinterprétant les multiples ambiguïtés dont a hérité le marxisme comme corps de doctrine et comme mouvement social. L'existence de ces ambiguïtés se révèle notamment dans les témoignages de militants communistes chargés de fonctions « idéologiques », tel Wolfgang Leonhard ; ils permettent de retracer comment de l'embarras ils sont passés au doute, dévorant l'une après l'autre les idoles : c'est d'abord Staline qui cède peu à peu la place à Lénine, puis Lénine en fin de compte à Marx. Des changements institutionnels profonds peuventils résulter de modifications purement doctrinales? Cela semble bien improbable ; sans doute, les facteurs économiques, politiques et internationaux pèsent généralement d'un poids plus lourd dans la balance. Mais là n'est pas la question posée. Il s'agit seulement de savoir si la tradition marxiste, sous tel ou tel aspect qu'il conviendrait de mettre en valeur, peut devenir une arme utile à ceux qui luttent pour leur délivrance, pour mettre fin au despotisme étranger et intérieur. Examinons à cette lumière quelques conceptions clefs du marxisme. BibliotecaGinoBianco 145 Il existe chez Marx et dans la tradition marxiste deux conceptions différentes de la propriété, dont l'une fournit la base non seulement d'une critique du capitalisme, mais d'une critique bien plus forte encore de ce qui passe actuellement pour une « économie socialiste ». La première conception de la propriété est formelle et juridique. Elle définit la propriété en fonction des relations juridiques, l'accent étant mis sur la sanction donnée par la loi au titre de propriété en tant que tel. L'évolution de l'économie moderne en Occident tend de plus en plus à limiter le domaine d'application de ce concept, en détachant toujours davantage le pouvoir économique effectif de la propriété nominale. La seconde conception de la propriété chez Marx est fonctionnelle et sociologique ; elle est liée à la critique morale que fait Marx du capitalisme. Selon cette conception, la propriété est une forme de pouvoir - condamnable non pas tant parce qu'il permet d'user et d'abuser privément des moyens de production, des biens et des services (car ce droit personnel est toujours limité), mais parce qu'il permet privativement d'exclure autrui de leur usage. Chaque fois que la propriété foncière et celle des moyens de production donnent le pouvoir d'interdire à certains l'accès à la terre ou aux instruments de travail, elles confèrent aux possédants une puissance réelle sur les vies personnelles des non-possédants. Or, si dans une société qui a aboli formellement le droit à la propriété subsiste par contre, dans toute sa rigueur, le pouvoir économique de fait - le pouvoir d'interdire à autrui l'accès aux biens et aux services, et tout spécialement l'accès aux moyens d'existence - on constate que ceux qui détiennent ce pouvoir jouissent de la plupart des droits traditionnels de propriété existant sous le régime capitaliste classique. Ceci fait justice de la fiction bien connue selon laquelle une industrie collectivisée ou nationalisée met fin automatiquement à toute exploitation. Quelle que soit la forme de socialisation, s'il se trouve que les institutions fonctionnent de façon que l'usage des moyens de production, c'est-à-dire des moyens d'existence, puisse être systématiquement interdit aux travailleurs, c'est une dérision de prétendre que ces moyens de production et d'existence leur appartiennent, sont leur « propriété ». L'État-patron Il n'en va pas autrement lorsque l'on prétend que les moyens de production sont propriété de l'État. On ne fait que reculer le problème, qui devient alors : A qui l'État appartient-il? Qui en dispose ? Si telle couche de la population, tel groupe est exclu de la participation effective à la vie politique, à quoi rime d'affirmer que l'État est aux mains de ce groupe? Sous le régime national-socialiste, par exemple, ceux qui possédaient en titre les moyens de production furent simplement dépouillés du droit de gérer leurs propres entreprises ; de ce seu 1 fait ils devenaient de simples agents subalternes

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