144 c'est la manière dont les dogmes sont exprimés et vécus qui détermine leur signification. Ce qui est vrai des mouvements religieux l'est aussi ailleurs. Lorsque nous considérons le contenu réel de mots d'ordre tels que ceux du «retour au Christ » ou du «retour à Kant », ou encore du «retour à Rome, à Jérusalem », nous constatons que ces prétendus retours marquent toujours en réalité un nouveau point de départ dans la doctrine et le mouvement; et cela, parfois, à l'encontre des intentions véritables des novateurs. Dans .le même sens, le fameux «retour à Marx» de Lénine (mot d'ordre d'ailleurs emprunté à Rosa Luxembourg), marquait en réalité une révision, de portée capitale, du marxisme tel qu'on l'avait conçu jusque-là. Le volontarisme radical de Lénine, tel qu'il s'exprimait dans Que faire ?, sans relever simplement, comme le prétendent certains critiques, de l'influence bakouninienne et blanquiste, n'avait certainement pas grand-chose de commun avec le marxisme de Kautsky et de Plékhanov. Au surplus, ce que Lénine avait fait à Marx au nom du ·marxisme, Staline (dans une moindre mesure) le fit à Lénine au nom du léninisme. Cela nous ramène directement à la question qui nous occupe : dans la période actuelle de « dévalorisation » de Staline (si réticente, si ambiguë qu'elle soit), assisteronsnous, dans tels pays communistes, à un nouveau « retour à Marx », sous le couvert duquel la théorie et la pratique communistes subiraient de nouvelles métamorphoses? La pratique et la théorie sont plus intimement liées dans la doctrine communiste qu'elles ne le sont dans d'autres idéologies, mais il advient que l'on s'exagère leur unité monolithique. Bien que la fidélité à un certain ensemble doctrinal ait toujours été de rigueur pour tous les partis communistes affiliés au Kremlin, certaines variantes de méthodes sur le chemin du pouvoir étaient tolérées - particulièrement lorsqu'elles réussissaient et ne violaient pas directement les ordres de Moscou. Staline, il est vrai, mis en présence de la théorie des « circonstances exceptionnelles » formulée par le communisme américain, l'a condamnée explicitement (alors qu'elle ne faisait que réaffirmer la proposition banale selon laquelle chaque parti communiste doit tenir compte des particularités nationales) ; mais il avait alors surtout en vue le remplacement d'une fraction dirigeante par une autre, plus docile et plus souple. Par contre, lorsque les occasions se présentèrent, au lendemain de la guerre, Staline approuva sans réserve la manière originale dont les communistes s'emparèrent du pouvoir en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie et en Chine, encore que dans le cas de celle-ci le mouvement communiste se fût appuyé sur la paysannerie et non sur le prolétariat, et que nulle part, ni en Chine ni ailleurs, il n'ait eu recours aux soviets. Quand nous passons de l'examen des multiples « chemins du pouvoir-> à-celui des multiples «voies du socialisme», il apparaît que d'un État communiste à l'autre, la pratique varie tout autant; mais ici la diversité est d'une portée incomparablement plus grande. Différents itinéraires tactiques conduiBibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL sant tous au pouvoir peuvent se comparer à différents chemins qui tous mènent à une certaine ville. La ville reste la même quelle que soit la manière d'y parvenir. Mais les voies multiples du «socialisme » (régime sur lequel les classiques du marxisme sont fort avares de détails) se compareraient plutôt aux div~rses manières de bâtir une ville. Or, si les méthodes de construction varient, les édifices ne ·varieront pas moins, parce que les moyens employés ne sont pas ici comme un échafaudage que l'on démonte après que la construction est achevée, mais comme les briques et le mortier, les poutrelles de bois et d'acier qui constituent l'édifice lui-même. La métaphore architecturale se prête fort bien à la logique des relations entre fins et moyens; s'il est exact que ce sont les moyens et non de pieuses intentions verbales qui déterminent les fins, alors l'adoption de moyens différents pour construire le socialisme implique, en toute probabilité, la construction de socialismes d'espèces différentes, si fâcheux que cela puisse paraître aux chefs du monde communiste. National-communisme Sous LE M:fiME NOM de communisme et de marxisme se présentent de nos jours plusieurs expériences « socialistes », entre lesquelles les différences, tant de doctrine que· de pratique, sont considérables : l'Union soviétique, la Chine, la Yougoslavie et la Pologne. Certaines de ces variantes reflètent pour ainsi dire le « paysage » historique ou géographique et les données accidentelles liées à l'origine de l'expérience. Ces diversités peuvent prendre uneJmportance croissante parce que, dans la mesure où la théorie est un guide de l'action - elle n'en est souvent que la rationalisation a posteriori - les différences de doctrine peuvent conduire à une différenciation de plus en plus grande de l'action sociale, économique et culturelle. Ainsi, lorsque. Mao Tsé-toung déclare que le socialisme est un jardin où peuvent s'épanouir ·maintes· idées, Khrouchtchev ne peut l'approuver sans courir le danger d'un «dégel» qu'il ne maîtriserait plus. Certes, selon toute vraisemblance, Mao Tsé-toung continuera d'extirper comme plante vénéneuse toute doctrine qui n'a pas son approbation ; il n'empêche que ses propos peuvent entre temps inspirer dans d'autres pays des velléités de libéralisation, velléités qui n'en offrent pas moins des bases possibles d'évolution. Autre fait, plus significatif encore : Gomulka n'a-t-il pas proclamé (dans son discours au VIIIe Plénum, en octobre 1956) que «la meilleure définition du contenu social inhérent à l'idée de socialisme est que celui-ci constitue un système social qui abolit l'exploitation et l'oppression de l'homme par l'homme », et que « ce qu'il y a d'immuable dans le socialisme peut être ramené à l'abolition de l'exploitation de l'homme par l'homme»? Qu'on le veuille ou non, ces formules constituent, relativement au •
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==