Le Contrat Social - anno II - n. 3 - maggio 1958

A. G. HORON Moyen Age également, une civilisation « latine n par sa langue littéraire, mais par sa langue seulement. La civilisation contemporaine du Sud et de l'Est, dite aujourd'hui « arabe », mais autrefois mauresque et sarrasine, fut quelque chose d'aussi indéfinissable et de plus complexe encore. Comme notre civilisation « européenne » ou <<occidentale », elle était internationale et inter-confessionnelle. Les Arabes n'y avaient qu'une très petite part ; l'islam y exerçait une influence très grande mais rarement décisive : les traditions païennes et chrétiennes (hellénistiques, africaines, hispa11iques, proche-orientales, asiatiques, hindoues), ainsi que le judaïsme, y jouaient dans leur ensemble un rôle bien plus important. Même pour ce qui est de la langue de culture, la réalité n'avait rien de simple : dans l'Orient proche ou lointain, l'araméen <<syriaque » des chrétiens nestoriens, jacobites, etc., l'hébréo-araméen des Juifs, puis le persan des musulmans iraniens, turcs et indiens, ainsi que d'autres instruments de civilisation, tinrent autant et plus de place que l'arabe. En Asie, en Afrique et autour de la Méditerranée, l'époque assista à l'âge d'or de la poésie persane, à un début de littérature en turc, à une floraison d'écrits syriaques, à la renaissance des lettres hébraïques, à une dernière production copte; voire à quelques créations littéraires en berbère et dans les idiomes de l'Éthiopie (le guéez, puis l'amharique), du Soudan oriental (le nubien) ou même, plus tard, occidental (le haussa). Quand à l'arabe écrit, il n'appartient aux Arabes que par ses premières origines. Son assouplissement, son enrichissement, son développement <<régulier», <<littéral», <<classique », est l'œuvre de grammairiens et d'érudits qui sont presque tous postérieurs à l'épisode de domination arabe (donc aux cent ans qui suivent la mort de Mahomet). Ce ne furent à peu près jamais des Arabes, mais des Persans, 37 des Araméens, des Juifs, des Maures, etc. De même pour les écrivains - souvent bilingues, parfois trilingues - dans tous les genres littéraires; pour avoir couché leurs écrits, ou certains d'entre eux, en «arabesque», ils ne sont pas plus arabes que ne sont romains Bède le Vénérable, Thomas d'Aquin ou Dante - malgré leur prose si abondante en latin médiéval. Parmi ces auteurs très nombreux - point de Bédouins ; rares sont ceux qui se réclament de vagues ancêtres d'Arabie, réels ou fictifs. Sur la liste des noms célèbres, les authentiques Arabes brillent surtout par leur absence : c'est que la grande époque ne commence pas avant ce VIIIe siècle où il restait déjà bien peu des conquérants primitifs, et où l'arabe littéral commençait à devenir, à la suite de l'expansion de l'Islam, un véhicule international, intéressant toutes les élites, des Indes à l'Atlantique. Mais non les masses, qui continuaient un peu partout à parler les langues i11digènes et restaient, jusque vers l'époque des Croisades, non musulmanes et en tout cas non sunnites, non 37. P. ex. Sibawaïhi, le plus influent des gramm irien , mort en 797. BibliotecaGinoBianco 141 orthodoxes en grande partie, voire en majorité (impossible à chiffrer). 38 L'abondante production, en arabe et en tant d'autres langues (araméen, hébreu, persan, etc.), ne s'affirme que vers la fin de la période dite arabe, sous les Abbassides et les Oméyyades de Cordoue. Elle est due. aux lettrés et s'adresse aux publics les plus divers : musulmans, chrétiens, juifs et même païens, 3 9 qui contribuent, souvent sur pied d'égalité, à une culture cosmopolite, peu originale mais active, prolongeant les courants préislamiques. L'intolérance ou l'obscurantisme musulman - anachronisme lorsqu'on le réfère aux quelques siècles lu1nineux qui s'achèvent autour de l'an mille - ne se manifeste nettement qu'à la veille des Croisades. Phénomène de décadence, cet obscurantisme de plus en plus épais finira par étouffer une civilisation qui n'avait jamais été arabe, ni spécifiquement islamique. Quant à l'islam - abstraction commode résumant un ensemble de traditions, spéculations, doctrines et finalen1ent religions, plus disparate que le christianisme - il est pour neuf dixièmes une création non arabique. On peut même ajouter que ses racines hédjaziennes, médinoises, comme ses tout premiers développements dans une Mésopotamie encore judéo-babylonienne, !'apparentent au judaïsme plus qu'à l'Arabie de Mahomet. L'apport arabe : le Coran, le désert L'arabe, langue du Coran, puis de l'islam, est pourtant la seule réalité à laquelle puisse s'accrocher la notion, moderne, de « civilisation arabe » : on voit de quoi elle est faite. Le Coran, 40 rédigé à Médine au VIIe siècle, après la mort du prophète, est en effet le seul Livre des Arabes. (La fade poésie dite « antéislamique », d'authenticité douteuse, est surtout une compilation des grammairiens du deuxième siècle de !'Hégire. Les Arabes d'avant l'islam n'avaient pas de littérature écrite et ne nous ont laissé que de brèves et pauvres inscriptions, pour la plupart funéraires, témoignant d'un niveau culturel beaucoup plus bas que chez leurs voisins péninsulaires de langues non arabes : Minéens, 38. L'arabisation linguistique (dialectes vulgaires variés) comme l'islamisation (sectes antagonistes) des majorités de population - là où elle s'accomplit - a lieu surtout pendant la décadence ; c'est-à-dire depuis le temps des Croisades, et parfois très récemment. Le phénomène est dû bien souvent, par exemple dans le Proche-Orient asiatique, au dépérissement des populations non musulmanes (et non arabisées) · bref, à la dépopulation, entraînant l'accroissement relatif des musulmans (parmi lesquels les Bédouins et les arabisés . 39. Outre les tendances et sectes semi-païennes (nombreuses : les Alaouites de la province de Latakié en sont parmi les derniers représentants), il faut tenir compte des vrai « païens » tels que par exemple les Sabiens si influent u les Abbasides ; ils étaient centr s sur Harran, antiqu an - tuaire du dieu-Lune dans la boucle de l Euphrate et ité du légendaire Abraham. Ne pas confondre cc Sabicns ,1 a tr - lâtres » avec le peuple - 11011 hon1onyme - de ab en en Arabie préislamiquc. 40. Al-Qour't511. << cc QU n r cite 11, à l'é oie r li icu c. à la mosquée. Le terme e t imit de l'hébreu A1iQrâ (de m m ra inc et de s ns anal uc , d i1:tnati n jui e de l en ~mblc d s textes bibliQuc .

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