Le Contrat Social - anno II - n. 3 - maggio 1958

140 écrasent les Juifs et les redispersent autour de la Méditerranée. Les terribles invasions mongoles des successeurs de Gengis Khan achèvent l'œuvre de destruction. Pendant trois cents ans le Levant sert de champ de bataille aux mameluks, Tatares de Tamerlan, Turcs Ottomans et Turco-Persans, pour tomber (début du XVIe siècle) au pouvoir des Sultans-Califes héritiers de Byzance. Les Ottomans géreront mal, intentionnellement, cette Égypte-Syrie-Mésopotamie qu'ils veulent maintenir dans l'impuissance. Ils méprisent le Levantin, dédaignent l'Arabe, au point de bafouer - eux sunnites - le principe n1ême du califat. (En bonne doctrine, les successeurs du Prophète, légitimes ou usurpateurs, doivent au moins descendre de la tribu meccaine de Qoreïch, sinon de son clan hachémite, qui est celui de Mahomet. 31 ) Cette révolution, le califat turc, s'accomplit au milieu de l'indifférence du monde musulman, même « orthodoxe». L'arabisme perdait so11dernier signe de prestige, sa qualité de fétiche. L'arabe littéral était lui aussi négligé, sauf en religion. A la cour de Sélim, de Soliman · 1e Magnifique et de leurs successeurs (jusqu'au xxe siècle !) on cultive le persan, voire le latin, puis le français. Le Grand Turc est maintenant la seule force qui compte, du Sahara aux steppes de Russie. 32 L'Europe tremble devant lui, et l'Afrique du Nord - . historiquement inséparable du Levant - est entraînée dans l'orbite ottomane ou précipitée dans le chaos. Le Maroc se replie sur lui-même. Les »États Barbaresques » deviennent une flibuste internationale, largement ouverte aux non musulmans : le plus grand des corsaires méditerranéens du XVIe siècle fut Khaïr-ed-Dîn «Barberousse », renégat grec de Mytilène; son second était Sinan le Juif. Situation qui durera jusqu'à la veille du XIXe siècle, voire au début du xxe, jusqu'au moment où l'affaiblissement, puis la déchéance de l'empire ottoman permettront à l'Europe d'intervenir à nouveau au sud et à l'est de la Mer Centrale. CES SIÈCLES de désolation (XIIIe-xixe) permirent aux Bédouins de remplir encore une fois un rôle, mais purement négatif. C'est alors seulement que les tribus arabiques nomades s'infiltrent peu à peu dans les régions dévastées, en complètent la ruine par leur simple présence, créent mieux que tout phénomène climatique ce paysage du désert où elles se complaisent. Musulmans ou non, les déracinés, les récalcitrants, les « mauvais garçons » de tout poil - pasteurs berbères des steppes algériennes ou du Sahara ; Druses 33 éternellement· rebelles, succédant aux 31. Lés Oméyyades furent qoréïchites, mais non hachémites; les Abassides l'étaient - tout comme les Alides (ou Fatimides) qu'ils avaient réussi à écarter. 32. Sur l'importance des Turcs, en particulier des Ottomans, consulter F. Grenard, Grandeur et décadence de l' A. çie, 1939. .BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL Assassins 34 ; chefs de clans et de bandes kurdes 35 dans tout le Levant; aventuriers, renégats, mercenaires, exilés caucasiens, turcs et balkaniques un peu partout - tous mieux organisés, plus entreprenants que les Bédouins, se joignent, s'imposent à ces derniers dans un brigandage permanent, sous l' œil intéressé des aµtorités ottomanes ou vassales (dont l'administration anglaise <levait un jour hériter). Dans ce chaos, les groupes sédentaires les plus massifs ou les moins incohérents - Kabyles des Atlas, Maures réfugiés d'Espagne, Mzabites répandus au Maghreb, fellahs et coptes d'Égypte, maronites ou druso-maronites du Liban, nosaïriens ( cc Alaouites ») semi-païens de l'ancienne Phénicie, chrétiens «assyriens» du Kurdistan, chiites de l'Iraq, Juifs d'origine espagnole ou indigène, et autres communautés ethno-religieuses, de traditions et souvent de langues non arabes - s'enferment et résistent dans leurs cités, oasis et villages appauvris ; tandis que quelques éléments en général nomades se découvrent des affinités bédouines : ainsi certaines tribus zénètes, autrefois judaïsantes, qui s'arabisent pour mieux razzier, et dont le dernier grand chef sera Abd el-I{ader. 36 Dégradation dont le grand historien des Berbères, le musulman Ibn-Khaldoun, peu suspect de partialité, notait au XIVe siècle les premiers symptômes. Tout en se targuant de quelque aïeul d'Arabie, cet Hispano-Maugrébin fait des Bédouins chameliers - seuls purs Arabes qu'il reconnaisse - un tableau saisissant, valable encore de nos. jours. Aucune civilisation, dit-il, n'est compatible avec leur présence; leur parler barbare étonne les Maugrébins policés ; physiquement ils dégradent tout. C'est cela, la seule espèce de « panarabisme » (avant la lettre) qui ait jamais existé : informe, inconsciente, viable seulement dans l'anarchie, au milieu des ruines. Elle ne remonte même pas aux Arabes conquéranys' et n'a rien à voir avec l'islam. La civilisation pseudo-arabe Telle est l'histoire politique et sociale. En est-il · autrement sur le plan culturel ? La « civilisation arabe » s'est éteinte; elle a brillé - au Moyen Age. Mais en quoi était-elle arabe? L'adjectif, ambigu, peut couvrir toutes les contrebandes. Il y eut, au 33. Ainsi nommés d'après l'un des fondateurs de la secte, le Persan Darazi. Originaires du Liban et de l' Anti-Liban, organisés en société secrète, les Druses sont plus proches du christianisme ou du judaïsme messianique que de l'islam sunnite. Outre l'incarnation particulière de la divinité qu'est pour eux Hâkim (le calife fatimide), ils admettent Jésus, mais non Mahomet, parmi les messies passés et futurs. 34. Confrérie chiite extrémiste, au surnom significatif dont dérive le vocable français ; au fond aussi peu musulmane que les Druses, toute-puissante au temps des Croisades, iranienne d'origine et syrienne d'affiliations. 35. Généralement sunnites, pour mieux pressurer chiites et chrétiens. 36. Sur la mue des Zénètes, leur fusion avec les Bédouins Hilâl ou Soleïm, et ses conséquences fatales pour le Maghreb, voir E. Gautier, oP. ci't.

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