A. G. HORON explique peut-être l'énervement de l' « Orient » et le caractère « levantin». Quoi qu'il en soit, dès la fin du 1er siècle de l'Hégire, les mawâli 23 ou néophytes - individus, puis peuples entiers - ont fait l'islam et défait l' arabisme. Avec le triomphe des Abbassides (743-750) leur victoire est définitive. A PARTIR d'environ 750, pendant douze des treize siècles écoulés depuis Mahomet, les Arabes véritables ne jouent plus de rôle, sinon en tant que personnages décoratifs, témoins des origines musulmanes, ou comme rôdeurs impénitents aux lisières des déserts d'Arabie et d'Afrique. Aussi suflira-t-il ici de survoler cette douzaine de siècles pour constater le caractère non arabe des grandes forces qui ont agi dans le monde islamique, autour de la Médi- , terranee. Les jorces non arabes En Afrique, de l'islan1isation à l'époque des Croisades, les trois forces sont : 1. l'Égypte indigène, restée en bonne partie chrétienne et juive, et où le copte survit; mais à partir du IXe siècle elle est gouvernée par des Turcs, puis des Maugrébins arabo-berbères (les Fatimides), puis des Kurdes (Saladin et sa dynastie ayyoubide), enfin par des Turcs de nouveau (les premiers Mameluks); 2. les cités d'origine punique, c'est-à-dire cananéenne, 24 en Tunisie notamment, arabisées de langue, et islamisées - sauf les Juifs toujours nombreux, et les Chrétiens indigènes qui se maintiennent pendant quelques siècles ; 3. e11fin et surtout, les Berbères - musulmans à leur façon (qui est souvent dissidente), mais parfois encore juifs, chrétiens, voire païens ; d'ailleurs berbérophones en grande majorité. Vers l'Ouest, l'Espagne mauresque, où l'arabe fut Zingua franca pour toutes les religions, 25 devint ou resta ibérique, juive, berbère : l'Oméyyade réfugié qui servit d'enseigne aux Maures était l'un des rares Arabes de son émirat (VIIIe-Ixe siècles ; califat au xe). Les grands empires à cheval sur l'Afrique et l'Espagne - Almoravides, Almohades (XIe-XIIIe siècles) - sont purement l,erbères. Les principautés « sarrasines » de second rang qui dominèrent (Ixe-xe siècles) la Sicile et la Méditerranée centrale, sont africaines, tunisiennes, araboberbères, à peine « orientales ». De même vers l'Est : la puissance peut-être la plus considérable de l'Afrique musulmane - les 23. A l'origine, « clients ,, d'une tribu ou d'un J;>artiarabes· 24. Pour la nature carthaginoise ~t romaine. des régions citadines du Maghreb musulman, voir E. Gautier, Le Passé de l'Afrique du Nord, 1947. [L'introduction de ce livre a été reproduite dans notre numéro de mars (vol. II, n° 2).] 25. Ne J;>asoublier les chrétien~ andalous. de langue arabe, les - mozarabes "· Vice-versa, 11 Y, avait bc~uc~ut> de musulmans de langue romane, QUI seront éliminés au xv1 si~cle. Biblioteca Gino Bianco 139 Fatimides, véritables fondateurs du Caire, dont le califat restera égyptien tout en s'étendant au Levant - avait été créée sous drapeau chiite par une tribu berbère d'Algérie, les Kétama kabyles (xe siècle). En Asie, on a déjà indiqué le caractère du califat abbasside (env. 750-850; désagrégation politique, sinon spirituelle, achevée bien avant 900). Les dynasties qui lui succédèrent sur le plan temporel (xe-xie siècles) furent iraniennes 26 et chiites : les Bouïdes vers le sud-ouest (Perse et Mésopotamie), les Samanides issus de prêtres mazdéens vers le nord-est (Khorassan) ; puis elles f1..1rentturques, et de nouveau « orthodoxes » en matière d'islam. L'événement à l'origine de la Première Croisade fut la fondation de 1'empire formidable mais éphémère des Turcs Seldjouks. Auparavant, 2 7 pris entre l'Asie iranienne et le Levant byzantin ou fatimide, les principicules d' Alep et de Mossoul, quoique personnellement arabes, défendaient les dernières libertés de cités et districts essentiellement araméens, en bonne partie chrétiens ou non musulmans. Ils furent bientôt soumis par les Seldjouks, puis par les Croisés. Ces derniers trouvèrent devant eux 28 les tribus, guerriers, dynastes et chefs féodai:x ( « Atabegs ») turcs, ou les forces composites de l'Egypte fatimide ; mais at1cun État arabe ; tout au plus des maraudeurs nomades, indifférents a11 Croissant et à la Croix, ou quelques seigneurs loca1ix, vassaux des épigones seldjoukides, mais acceptant volontiers le patronage du plus fort. A vrai dire, l'Europe des Croisades et reconquêtes, en Orient comme en Occident, n'eut jamais en face d'elle « les Arabes », mais force Africains, Turcs et Asiatiques de to11tes espèces. Le grand vainqueur des Croisés, Saladin, 29 était un Kurde (donc un « Indo-Européen »), et l'empire hétéroclite des Ayyoubides (autour de 1200) défie toute classification ethnique, tout comme l'empire des Mameluk:s 30 qui lui succéda : l'ur1 et l'autre eurent l'Égypte pour ressort, le Turc pour épée, c'est tout ce qu'on peut en dire. La décade11ce. Les Ottomans Le XIIIe siècle et les deux siècles suivants marquent la ruine des forces indigènes, la grande catastrophe de l'Est et du Sud méditerranéens, dont ces terres si longtemps glorieuses ne se sont pas relevées. Croisades et Contre-croisades, leurs succès autant que leurs écl1ecs, déciment les Chrétiens d'Orient, brisent en Espagne la brillante société mauresque, 26. Deux à trois cents ans après l'islamisation, l'iranisme est en pleine renaissance. Le persan triomphe dans les belleslettres (Firdousi compose son « Livre des Rois n avant l'an 1000), sans évincer l'arabe en théologie musulmane, en phil - sor,hie et dans les sciences qui restent inter-confessionnelles. 27. Autour de l'an 1000. 28. Voir l' Histoire des Croisades de R. Grousset qui résume fidèlement les chroniqueurs. 29. Il reprend Jérusalem en 1187. Les Ayyoubidcs sont ainsi nommés d'apr s le J;>atronyme de Saladin. 30. Les << Esclaves (d'Etat) », ortc de dictature du J;>rl - tariat militaire, ou caste int rnationale de soldats-fonctionnaires et despot s professionnels. Surtout compos c de Turcs, J;>lustard aussi de Circassiens et d'autres.
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