A. G. HORON rement, aux adversaires de leurs oppresseurs. Le miracle musulman n'a pas d'autre secret. Succès et faiblesses Cette «conquête » fut accomplie en quelques années, du vivant d'Omar. Elle modifiait du tout au tout le caractère de l'islam : ce fut pour un instant une force politique centrée sur la Syrie et accaparée aussitôt par le général arabe Moawiya, qui devait plus tard fonder la dynastie des Oméyyades en confisquant le califat à son profit (660-661). Du coup, l'Arabie, plus désunie que jamais et vidée de ses meilleurs guerriers, retomba dans !'insignifiance. Son rôle avait duré quinze ou vingt-cinq ans. 8 Aventure fortuite, sans causes nécessaires et sans véritable lendemain. Mahomet, à sa mort, dominait à peine le Hédjaz actuel; les tentatives des premiers califes pour unifier l'Arabie proprement dite n'aboutirent pas ; quant à la péninsule, si elle accepta bien vite l'islam, elle ne constitua jamais d'unité politique, les États du sud et du sud-est (Yémen, Oman, etc.) gardant- leur indépendance, et les tribus bédouines leur autonomie anarchique. Les cartes «historiques>;, dans nos manuels, montrant une Arabie péninsulaire unie sous Mahomet ou régie en entier par les Oméyyades, puis les Abbassides, relèvent de la pure fantaisie. Quant aux Arabes hors d'Arabie, les dirigeants - quelques milliers, Meccains pour la plupart - constituèrent une haute classe politique, incorporée dès la deuxième génération aux pays qu'elle gouvernait, absorbée par les mariages, le sang, le harem oriental, et finalement massacrée, presque jusqu'au dernier homme, dans les guerres, factions et luttes dynastiques des VIIe et VIIIe siècles. Les tribus bédouines, au contraire, déjà sur place ou accourues pour participer à l'aubaine, restèrent un corps étranger. Quelques dizaines de milliers de guerriers, quelques centaines de milliers d'âmes (à cela se réduit l'invasion, qui suit plutôt qu'elle ne précède la conquête), tumultueux et inassimilables, on les pensionna, les isola, les surveilla dans des camps semi-militaires : Koufa, Bassora en Iraq, Fostat en Égypte, plus tard Kairouan en Tunisie, avant d'en faire l'avant-garde de nouvelles expéditions, entreprises en partie pour se débarrasser de ces parents pauvres. Bien peu survécurent aux randonnées du VIIe siècle, de la Caspienne à l' Atlas. Il n'y eut à proprement parler aucune colonisation arabe, et l'apport bédouin fut infinitésimal. L'humanité orientale et méditerranéenne ne fut pas arabisée dans sa chair; elle reçut l'arabisme comme une infection microbienne. 9 ) 8. Entre 630 (soumission de La Mecque à Mahomet et 644 (assassinat d'Omar), ou tout au plus 655 (assassinat d'Othman, dernier calife à Médine 1 at>rès quoi le siège du califat cessa d'être, même nominalement, en Arabie). 9. Hors d'Arabie, les tribus bédouines actuelles t>roviennent d'infiltrations plus récentesl à la faveur d'une décadence 8énérale en Afrique et au evant, aggravée à son tour l)ar les déprédations de ces nomades. Quant aux éléments (sédentaires ou non) qui sans être d'origine bédouine font aujourd'hui fiaure d'Arabes au Maahreb, au Soudan, en Syrie, en Iraq, etc., ce sont des arabisés de date très tardive dans leur ,rande majorité. [Vr A. G. Horon : « Le panarabisme», le Contrat social, Vol. I, n° 3 (juillet 1957), p. 152.) , Bi 'lioteca Gino Bianco 137 Campés du Nil au Tigre, dans des pays alors parmi les plus riches, soutenus par des ressources inespérées, mais dont ils ne pouvaient user qu'avec une relative modération, de peur de soulever des peuples bien plus nombreux et cohérents qu'euxmêmes, les Arabes durent aussitôt songer à des conquêtes supplémentaires, comme les pâtres qui cherchent des pâturages nouveaux. Cependant, à mesure que les forces bédouines se dépensaient et que les administrations indigènes s'affermissaient sous la poigne de potentats désormais acclimatés en Syrie, Égypte, Mésopotamie, l'affaire prenait l'aspect d'une opération militaire et politico-religieuse, en perdant tout caractère de migration arabe. Malgré son organisation supérieure, cette deuxième phase de l'expansion musulmane fut plus lente 10 et difficile, en Orient (Iran, jusqu'en Asie Centrale et au bassin de l'inclus) comme en Occident (Maghreb, péninsule ibérique et jusqu'a11delà des Pyrénées). Elle se retourna bientôt contre la faible minorité arabique. Au milieu du VIIIe siècle, le triomphe de l'islam de l'Atlantique à l'Oxus marque à peu près partout la victoire des forces indigènes provinciales sur les Arabes : ces derniers, lorsqu'ils survivent, ne sont guère plus que des fétiches, que se disputent des puissances musulmanes mais allogènes. * )f )f PERDUS DANS l'immensité de leur réussite, les Arabes n'étaient jamais parvenus à se concerter ou à se tolérer. Leur anarchie se poursuit à travers les conquêtes, leurs discordes et guerres civiles ne cessent à aucun moment. Partis (ou coteries régionales) contre d'autres partis : hédjaziens, syriens du «Nord », 11 iraqiens, etc. Clans contre clans (ce qui est encore autre chose) : « Yéménites » 12 d'extraction méridionale contre « vrais » Arabes, prétendûment ismaélites 13 • Sectes contre sectes : chiites soutenant les successeurs « légitimes » de Mahomet, contre sunnites qui reconnaissent les califes usurpateurs, ou kharédjites anarchiques par principe, qui ne reconnaissent personne. 14 Émirs contre émirs : commandants et satrapes appuyant ou rejetant l'autorité califale, ou s'en disputant entre eux la délégation. Et même 10. Un siècle environ : 641, début des invasions en Iran; 732, bataille de Poitiers; 743, décomposition finale du califat oméyyade de Damas. 11. Ach-Châm, « le Nord», désigne Damas et toute la stei,oe syro-arabi~ue par opposition à Al- Ya,nan, << le Sud », vocable qui s'appliquait non seulement au Yémen actuel mais à une très grande partie de la péninsule. Le t>oint de vue était d'abord au Hédjaz, vers Médine. 12. Il y a chassé-croisé : les « Yéménites » en question étaient influents surtout en Syrie. 13. I.e. descendants d'lsmaël, fils d'Abraham. 14. Chiites : « l)artisans » de la lignée d'Ali, cousin, beau-fils, héritier t>résomt>tif de Mahomet. - Sunnites : « traditionnalistes ». - Kharédjites : « sét>aratistes en quelque sorte « protestants ». Il serait vain d'énumérer ici les nombr u es s et s t sous-sectes qui ont toutes chanaé de signification religieu e et ·de cont nu ethnique.
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