136 Islam arabe et razzia bédouine Son rôle historique fut de rassembler, pour quelques années avant et surtout après la mort du Prophète (632), une partie des tribus incohérentes de Bédouins, autrefois clientes ou vassales des Himyarites ou des empires byzantin et sassanide. Mais à la suite des conquêtes musulmanes, l'afflux d'éléments étrangers deviendra si considérable que l'islamisme cessera d'être un phénomène spécifiquement arabe. Si l'on peut définir l'islam primitif comme une forme appauvrie de judaïsme, greffée sur les traditions païennes locales et mise à la portée de la mentalité bédouine, cette définition n'est plus valable dès la deuxième ou troisième génération musulmane. L'islam évolue et se scinde, selon des tendances qui bientôt n'auront pas grand-chose à voir avec l'Arabie et les Arabes. Dès avant la fin du VIIe siècle, il devient essentiel de ne pas confondre les deux termes, malgré la persistance de l'arabe comme langue sacrée dans la nouvelle religion internationale. De telles transformations, changeant complètement le caractère d'une religion et la détachant du milieu ethnique originel, n'ont rien que de normal. Le christianisme a commencé par être une secte juive ; il est devenu la religion du monde romain, puis européen. Le bouddhisme est né aux Indes ; il a cessé d'être hindou au bout de quelques siècles, pour prendre racine en Asie Centrale et en Extrême-Orient. Les historiens européens modernes, frappés par le succès quasi miraculeux de l'islam primitif, en ont d'abord cherché l'explication dans le fanatisme bédouin, puis dans le desséchement supposé de la péninsule arabique, entraînant une émigration massive. On a dû renoncer au xxe siècle à ce genre d'interprétations. 11 n'y a pas eu de changement notable de climat pendant les temps historiques, et une meilleure connaissance des faits a montré que les Arabes du VIIe siècle .étaient à de rares exceptions près indifférents en matière de religion ; les nomades bédouins le sont toujours restés. S'il faut chercher des raisons arabiques aux succès de l'islam et à l'expansion bédouine, c'est dans des causes plus tangibles qu'on les trouvera" : antécédents immédiats de l'histoire péninsulaire, structure économique et sociale de l'Arabie. La ruine du royaume des Himyarites, coïncidant avec le début d'une des pires crises internationales qu'ait subies l'Orient (VIe-VIIe siècles), détruisait la faible organisation politique de la péninsule avec le commerce caravanier dont elle vivait. Abandonnés à eux-mêmes, les Bédouins - pâtres faméliques, pillards, convoyeurs de caravanes - n'avaient d'autre ressource que le brigandage, .de tribu à tribu, selon la coutume invétérée, ou à l'échelle internationale, lorsque s'en présentèrent le prétexte : l'islam, et l'occasion : l'épuisement du monde civilisé à la suite des guerres interminables entre grandes puissances. Les bourgeois de La Mecque, de Médine, et des quelques autres agglomérations d'Arabie _..:. infime minorité de· sédentaires menacés par le désordre des tribus, mais capables de calcul - comprirent qu'on pouvait BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL par l'islam canaliser l'anarchie ~é~ouine. AbouBekr, puis surtout Omar (assassin~ en 6~4), les deux premiers successeurs ~u Prophet~ I?ai~ ~ peu près les seuls à avoir exerce une aut?rite ve~itable en tant que ses « lieutenants » ou califes, devim:ent entrepreneurs de razzias en grand. Ces entrepris~s hors d'Arabie étaient des raids dont on escomptait du butin et du prestige, non des acquisitions territoriales. Leurs résultats politiques n'avaient , , , ete prevus par personne. Le ralliement du Levant et de l'Égypte Dès le début, c'est hors d'Arabie que se trouvent les facteurs décisifs : dans les pays de vieille civilisation sédentaire, densement peuplés, vassaux de Byzance et de l'Iran. En Syrie et en Égypte, les masses indigènes parlant araméen 6 et copte, .. et appartenant en majorité aux églises monophysites (hérétiques aux yeux de Rome et de Constantinople), souffraient sous la domination byzantine, maudissaient les Grecs, en étaient méprisés, et craignaient cependant le zèle mazdéen des Sassanides, adorateurs d' Ahura-Mazda. Situation analogue en Mésopotamie, pays de langue araméenne surtout, mais sous tutelle iranienne (Ctésiphon, la capitale sassanide, était sur le Tigre). Les chrétiens indigènes nestoriens, et davantage encore les Juifs, nombreux et organisés, avaient à se plaindre du suzerain iranien 6 mais tout à redouter de Byzance. A peu près partout, du Nil au Tigre, les bandes des musulmans nouveaux venus, peu enclins au prosélytisme (contrairement à la légende moderne) et neutres en quelque sorte, furent accueillis comme le moindre mal. Enfin, les troupes auxiliaires de Byzance, ainsi que celles des Sassanides - les deux · empires, financ~ment au plus bas, n'en avaient guère d'autres - comprenaient beaucoup d' Arabes, païens ou superficiellement christianisés : mal payés, ils désertèrent en masse, premières recrues de l'islam hors d'Arabie. Dans ces conditions, les opérations guerrières ne furent bien souvent qu'une formalité. Autorités et communautés provinciales s'entendirent directement avec les Arabes; leur accordant la suzeraineté politique et les ressources financières contre la garantie des libertés locales et religieuses. La Palestine et la Syrie, puis l'lraq 7 et la Haute Mésopotamie, enfin l'Égypte, se donnèrent ainsi, conditionnellement et temporai5. Qu'on appelle « syriaque » lorsqu'il s'agit de littérature chrétienne. 6. Le judaïsme «babylonien » constituait toujours une espèce de, principauté vassale ; son « exilarque », pr~ce héréditaire, était l'un des grands feudataires de l'emp1re iranien. Mais depuis plus de cent ans, les Juifs mésopotamiens s'entendaient mal avec les Sassanides. L'exilarque Mar Zoutra s'était révolté, au temps où l'Iran officiel passait par l'expérience «communiste» du mazdakisme (vers le début du vie siècle). Au siècle suivant, l'exilarque Bostenaï devait s'entendre avec les Arabes, à en croire une tradition d'ailleurs toute légendaire. 7. Désignation de la Basse Mésopotamie marécageuse, l'ancienne Sumérie, Babylonie, Chaldée; étendue après 1918 par les Anglais à tout le territoire « iraqien » actuel. Le terme, quoique arabisé, est néanmoins d'origine iranienne : c'est le pehlvi (néo-perse) Erak, i. e. « Pays iranien ».
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==