Le Contrat Social - anno II - n. 3 - maggio 1958

134 ser? Quoi qu'il en soit, une déviation s'est produit~ ; on s'est habitué à croire qu'entre la cause des misérables d'une part et, d'autre part, ce qu'on appelle le message marxiste, des liens indissolubles se sont formés. Comme on entend bien être fidèle aux pauvres et leur donner le royaume terrestre avant celui des cieux, comme on distingue mal le vrai message marxiste des entreprises esclavagistes qui se réclament de . lui, on glisse de plus en plus sur la pente des complaisances, des indulgences ou des très abusives approbations. N'en soyons pas surpris. Par nature, une âme religieuse est moins sensible aux faits concrets qu'à l'idéalité dont ils se revêtent; qu'on lui parle de justice sociale et de paix universelle, at1ssitôt elle s'émeut et incline vers l'adhésion. La démagogie co1nmuniste n'en est plus à faire ses preuves et, du point de vue tactique, elle peut se flatter de mainte victoire. Nous n'entendons pas dire que le chrétien progressiste capitule entièrement devant elle; encore doit-on avouer que cette réserve est parfois de trop. La pathétique histoire des prêtres-ouvriers français a mis en pleine lumière le fait qu'un certain nombre d'entre eux, dont nous ne pouvons a priori contester ni la sincérité, ni le courage, ni l'esprit de charité, renièrent leurs vœux et quittèrent l'Église plutôt que d'abandonner la foi commur:_istequi manifestement les avait imprégnés et conquis. Des exceptions? Certes, encore que dans bien d'autres cas on se demande jusqu'à quel point le christianisme n'est pas adultéré, recouvert par des manières de sentir ou de parler . qui finissent par devenir des modes de la pensée. Le croyant qui cède au vertige du communisme dispose toujours de deux arguments qui apaisent ses débats de conscience. Tantôt il se flatte de l'idée qu'en allant dans le camp 1narxiste pour témoigner de son dévouement fraternel, il sera pareil à un missionnaire qui fait luire chez les païens le flambeau. de la vérité complète; tantôt il se convainc que, même si le monde moderne doit traverser une universelle expérience . , , . commumste, ce sera une epreuve necessaire ou providentielle dans laquelle les hommes s'élèveront jusqu'à la notion d'une plus pure justice. Honni soit celui qui reculerait devant ce purgatoire et cette expiation ... L'analyse politique ne peut rien contre un acte de foi, contre une espérance prophétique ; tel progressiste · dont · les comportements inquiètent peut fort bien être digne d'un entier respect. Nous co12 servons cependant le droit de répéter un ~ ertissement qui devrait être mille fois superflu et dont· on s'aperçoit chaque BibliotecaGino • 1anco LE CONTRAT SOCIAL jour qu'il ne l'est pas. Lorsqu'un homme de bonne volonté s'aventure en ce qu'on a coutume d'appeler une tentative de dialogue ou de collaboration avec les communistes, il n'est armé le plus souvent que de sa simplicité, et l'on sent bien qu'il est prêt aux concessions dictées par son cœur; même s'il est un religieux, il n'a derrière· lui qu'une autorité lointaine et longanime, fort libérale en ces matières. Qui en doute n'a qu'à lire la presse du christianisme gauchiste ; il sera vite édifié, parfois scandalisé. Le communiste au contraire, fût-il dans sa vie privée le meilleur homme du monde, n'existe pas en tant qu'individu ; ses gestes, ses paroles ne sont que l'expression d'une tactique mise en œuvre par un appareil d'une extrême puissance ,, et savamment conçue en vue d'utiliser toutes les armes de la ruse, du mensonge, de la séduction, de l'intimidation. A proprement parler il ne peut y avoir de dialogue puisque, comme on l'a bien dit, les interlocuteurs ne sont pas sur le même plan, n'emploient pas le même langage et n'ont pas la même structure mentale. Si l'on ajoute que rien n'égale le mépris secret que professent les communistes à l'égard de ceux qui viennent s'offrir au filet, si l'on se souvient qu'ils ne peuvent évidemment pas renoncer au matérialisme athée qui est le fondement de leur doctrine, on voit quelle . erreur commettent les « progressistes » qui s'acharnent naïvement à composer avec le communisme ou se flattent de le dépasser par la surenchère verbale. Puissent-ils prendre exemple sur Vinoba, comprendre que leur socialisme ne saurait sans déchoir o~ trahir favoriser la mécanisation de la vie humaine par l'établissement d'un monstrueux étatisme! En définitive, tout est dangereusement faussé dans la politique de notre temps, parce qu'on a trop cru qu'une déclaration de guerre aux privilèges de la fortune suffisait à coaliser' dura- · blement tous ceux qui la signent. Sous la bannière de l'anticapitalisme, de l'anti-impérialisme, s'agglomèrent des foules fanatisées préparant bien souvent pour elles une oppression plus terrible que celle dont · elles souffraient. Condamner le capital lorsqu'il est vampirique et funeste, qui ne le fait ? Améliorer la condition . des humbles, qui ne le souhaite? Encore faut-il résister à l'entraînement des mots, des sentiments aveugles et des mythes forgés par la propagande ; tant d'expériences instructives se ·sont déjà déroulées sous nos yeux que nous sommes peu excusables lorsque nous nous laissons abuser. > LÉON EMERY

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