Le Contrat Social - anno II - n. 3 - maggio 1958

L. EMBRY sacrilège ; mais il se pourrait que l'empirisme politique justifie jusqu'à un certain point ce que réprouvent la raison et le sentiment. Qu'il puisse ou doive en même temps encourager la réforme agraire de Vinoba, faire construire des villes par Le Corbusier, développer les relations , maritimes et bancaires avec les Etats-Unis et l'Angleterre, installer des fonderies que montent des ingénieurs russes, ce sont là des contradictions nées en grande partie de la complexité des problèmes. Qui pourrait se flatter de diriger autrement qu'en tâtonnant et en cherchant sans cesse l'équilibre, cet immense corps inorganique d'une Inde en pleine mutation? Un proche avenir dira sans doute si l'opération est conduite avec doigté, ou bien si elle est vouée à de redoutables convulsions. On voudrait seulement que celui qui la conduit à travers vents et marées soit un peu moins enclin à se draper devant les autres nations dans une vertu qui n'est plus intacte, parce qu'elle tolère chez soi de mouvants et multiples compromis ... CHAQUE GRANDE région de la planète a son destin propre, mais non pas un destin séparé; la lumière se réfléchit de l'une à l'autre. Ces vues sur la réalité hindoue nous ramènent irrésistiblement à notre pays où se posent des problèmes très semblables, très différents, qui mériteraient beaucoup plus qu'une brève allusion. Nous avons dit que le socialisme gandhiste s'explique au sommet par la religion, à la base par l'urgence d'une action commune et libre contre l'intolérable misère. Nous avons vu qu'en lutte contre le marxisme il court pourtant le risque de se perdre en lui, de se laisser attirer et absorber dès l'instant que la similitude des buts immédiats ferait oublier de radicales contradictions. Comment ne pas évoquer le drame du socialisme chrétien d'Occident dans ses rapports avec ce même marxisme cent fois condamné par lui et qui ne laisse pourtant pas de le fasciner ? On sait que les chrétiens, las d'entendre dire qu'ils constituaient une force conservatrice ou rétrograde, qu'ils ne vivaient pas leur foi, qu'ils se mettaient au service des possédants en entretenant la résignation des pauvres, sont entrés dans l'action sociale avec une telle ardeur que leur aile marchante a voulu d'emblée se précipiter vers l'extrême-gauche, pactiser avec toutes les tendances révolutionnaires et modernistes. Dénoncer au nom de l'Évangile l'exploitation de l'homme par l'homme, prêcher le Biblioteca Gino Bianco 133 salut temporel par l'institution d'une société meilleure et, pour tout dire d'un mot, d'une société sans classes, voilà les impératifs auxquels se soumet la généreuse candeur des actuels « progressistes ». C'est dire que sur leur route, et dès les premiers pas, ils ne peuvent manquer de rencontrer le marxisme, et qu'on est tenu de se demander s'ils vont se confondre avec lui comme une rivière se jette dans un fleuve. Qu'il y ait entre le christianisme et le marxisme une théorique et totale incompatibilité, c'est l'évidence ; que cette incompatibilité se soit traduite dans tous les pays où règne le commu- , nisme par la persécution acharnée des Eglises, qui subsistent seulement dans la mesure où force est bien de les tolérer provisoirement, c'est non moins clair. Dans ces conditions, il importe surtout de comprendre par quels faux-fuyants - par quelles équivoques sincères - tant de croyants parviennent à noyer dans une étrange brume mentale des vérités que les décisions pontificales elles-mêmes ne font pas reconnaître sans malaise ni résistance. A la source de cette périlleuse confusion, il convient assurément de placer un élan du cœur et la conscience d'une injustice qu'on veut rapidement faire disparaître. En bonne logique cette impatience soudaine et ardente, cette volonté d'élargir le champ d'application de la charité devraient conduire vers un socialisme chrétien dont les principes ont été fixés notamment à la fin du siècle dernier par les encycliques de Léon XIII. Si hardi qu'il puisse être, ce socialisme exclut naturellement la violence, fait appel à la collaboration des classes et au sentiment du devoir, préfère aux interventions étatiques les libres initiatives de la corporation, du syndicalisme ou de l'esprit coopératif, exige que la foi inspire constamment le travail quotidien et la politique. Rien ne serait plus facile donc que de faire paraître les analogies entre lui et le gandhisme. Mais voici que surgit l'astre noir et que son attraction s'exerce sur bien des consciences. Le chrétien progressiste constate non sans remords qu'il a été devancé auprès des foules par ceux qui se disent les disciples de Marx. Il découvre en leur langage des formules qui ne sont pas sans l'impressionner, qui lui paraissent correspondre aux faits dans une large mesure, qui en tous cas ont animé des millions d'hommes et provoqué d'énormes transformations. Se sent-il tenu en toute bonne foi de reconnaître publiquement ce qui ne saurait être nié? Conclut-il que pour combattre le marxisme et lui arracher le droit ou le pouvoir de conduire les peuples déshérités, il faut commencer par l'imiter et même le dépas-

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