Le Contrat Social - anno II - n. 3 - maggio 1958

132 duquel nous notons ces réflexions nous enferme en de trop étroites limites ; il convient de le transformer en plaçant Nehru entre Marx et Gandhi, pour autant que nous consentons à lui accorder un caractère éminemment représentatif. Le socialisme qui découle des préceptes de Gandhi peut être dit médiéval ou primitif, à condition d'imaginer un Moyen Age idéal, ou des sociétés primitives telles qu'on les situa au XVIIIe siècle dans les archipels polynésiens; on voit en effet que, pris à la lettre, il abolit l'autorité civile ou du moins la fonde sur l'esprit de coopération. On ne saurait trop admirer dans ces conditions qu'il se soit inscrit dans les faits avec tant d'audace ingénue, qu'il ait pu, ce faisant, conserver une si belle valeur éthique. On assure qu'il continue à gagner du terrain, que les villages communautaires envoient des délégués porter chez d'autres la bonne parole et les instructions pratiques, qu'ainsi le renouveau hindou s'effectue cellule par cellule sans qu'il s'accompagne des meurtrières discordes dont notre histoire nous offre l'affligeant tableau. Il y a là de quoi raffermir l'espérance au cœur de ceux qui soutiennent que l'utopie ne se confond pas nécessairement avec la chimère. Mais le marxiste qui entre en lice avec sa coutumière rudesse a malheureusement la partie belle. Nos auteurs gandhistes, Corvesal avec objectivité, Lanza del Vasto avec plus d'éloquence, Vinoba avec plus de bonhomie, sont d'accord pour voir en lui l'irréconciliable ennemi parce qu'il est essentiellement un despote et un technocrate. Ils n'ignorent pas que le marxisme authentique préconisait la suppression de l'État et le transfert du pouvoir aux collectivités locales, aux soviets ; mais ils ont fort bien compris que c'était là une concession naïve à l'anarchisme utopique et à l'instinct révolutionnaire, ou même, dans bien des cas, une simple ruse tactique, et que la doctrine va dans le sens de l'édification monolithique, fille de la contrainte. Ils déclarent nettement que, selon qu'elle restera fidèle à Gandhi ou prêtera l'oreille à la propagande marxiste, l'Inde conservera ou perdra ,. son ame. Ils ont raison, mais on devine la réponse et quel ton dédaigneux elle doit prendre, même dans la bouche d'un marxiste hindou que nous supposerons le plus honnête homme du monde et non point un agent conscient de l'impérialisme russe ou chinois. Il est d'abord facile de faire observer que l'action de Vinoba et de ses amis _se poursuit grâce à la protection des lois et même à l'appui matériel du gouvernement ; elle ne peut donc avoir qu'un caractère provincial et subalBibliotecaGinoBianco LE ·CONTRAT SOCIAL terne. Que deviendrait-elle s'il lui fallait assumer toutes les tâches et finalement se charger de la direction générale? Soutiendra-t-on sérieusement que quatre cent millions d'Hindous vont s'organiser en d'innombrables communautés volontaires à peine reliées les une3 aux autres par de faibles contacts ? L'argument principal sera tiré en outre de la lenteur des réalisations villageoises et du fait qu'à tous les sens du mot le gandhiste vit en dehors du temps; on lui montrera les foules affamées qui attendent, qui ne peuvent manquer de devenir plus impatientes et plus avides au fur et à mesure qu'elles prendront conscience de leur détresse, on demandera s'il faut leur enseigner la résignation et le permanent recours à l'opium du peuple, on célébrera les succès des grands empires modernes créés en quelques années. Quelle que soit l'efficacité préservatrice dans la société hindoue d'une religiosité dont se pénètre et se spiritualise le socialisme gandhiste, comment la nécessité, le siècle, l'universelle industrialisation, les exemples massifs venus de l'étranger n'exerceraient-ils pas leur submergeante influence? Faut-il donc s'en remettre au système ambigu, hétérogène, instable peut-être, que symbolise la présence de Nehru? La politique de ce dernier n'est pas sans nous gêner, sans encourir les reproches ou les sarcasmes de ceux qui lui trouvent un air de duplicité, voire de tartuferie. Que la personnalité du chef hindou soit assez énigmatique, qu'on ne soit pas toujours satisfait _ni de ses initiatives, ni de ses silences ou de ses complaisances, ,,.cela ne fait pas question ; à travers lui se manifestent avec grandeur tous les périls impliqués par les termes consacrés de neutralisme et de progressisme. L'équité contraint cependant à reconnaître que l'équivoque est aussi dans les choses et que Nehru est au point de rencontre de réalités antithétiques. Bon lettré, il connaît bien la tradition védantique et peut encore s'en réclamer ; intellectuel occidentalisé, féru de modernisme, il s'en est probablement détaché plus même qu'il n'en a conscience. Leader d'un mouvement national, il se dit socialiste à la manière dont on l'est en Europe, ce qui ne l'empêche pas de composer avec la ploutocratie industrielle et technocratique. Adversaire du communisme parce qu'il entend maintenir une suffisante liberté, il est dupe ou complice de sa propagande antiimpérialiste, en sorte qu'on ne sait plus s'il le favorise ou s'il le combat. Il prétend combiner les leço~s de Marx et celles de .Gandhi ; nous croyons avec Vinoba, fils spirituel du Mahatma, que c'est foncièrement illogique et presque

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