l.J, EMBRY organise un statut coopératif, puis reprend sa marche. La foi, la charité, sont en chaque circonstance des guides mieux écoutés que le bon sens administratif et la science économique. Après cela il suffit et il importe de préciser que les succès de Vinoba s'étendent à une province d'une superficie égale à celle de la France et se mesurent par des lotissements portant sur des centaines de milliers d'hectares. Sa réforme agraire 5urpasse celle que l'Italie met en œuvre depuis quelques années par des voies qui nous semblent beaucoup plus normales. On s'étonne, on s'émeut, on admire, sans être tout à fait rassuré. Car voici que reviennent les objections trop connues portant contre toute tentative de ce genre. Le miracle peut-il durer? A supposer que tout aille pour le mieux au sein de la communauté villageoise, lui sera-t-il donné de vivre en autarcie, dans l'ignorance volontaire du monde moderne, du monde de la machine? Les relations commerciales les plus humbles, la nécessité de se procurer des outils, ne vont-elles pas provoquer des interventions qui, bon gré mal gré, rattacheront l'îlot gandhiste à des réalités sociales d'une tout autre structure? En fait, d'ores et déjà, l'expérience de Vinoba est aidée, encouragée, donc contrôlée par le gouvernement central ; au fur et à mesure qu'elle se développe, elle s'insère en des systèmes plus complexes, elle commence à dépendre de la loi, des chemins de fer et des télégraphes, elle ne peut plus vivre en une idyllique solitude. Simultanément naît une question dont on devine la forme pressante : ou bien le socialisme utopique démontrera victorieusement qu'il ne l'est pas en se faisant reconnaître par l'Inde entière comme un exemple et un modèle, ou bien il subira le sort commun, sera considéré comme un archaïsme impuissant, fera place à l'un des régimes dont notre époque accepte la loi. Une destinée significative a mis le gouvernement de l'Inde entre les mains d'un autre disciple de Gandhi dont on se demande de plus en plus s'il n'est pas l'apostat couronné. Nous ne cherchons pas à pénétrer dans la conscience de Nehru, encore moins à le juger, mais seulement à comprendre ce qu'il représente dans le cours de l'histoire. Reconnaissons d'abord que nous avons trop concédé au mythe ou du moins à l'idéal en ayant l'air d'attribuer à l'action de Gandhi l'entier mérite d'avoir libéré l'Inde ; c'était passer sous silence le rôle du parti du Congrès, de l'appareil politique proprement dit qui constitue l'armature du nouvel État et dont Nehru est demeuré le chef. Or il va de soi que, dans un pays d'analphabètes et de prolétaires ignorants, ce par" .Q.epeut être Biblioteca Gino Bianco 131 sous des dehors démocratiques qu'une caste des plus restreintes vouée à commander. Qu'elle le veuille ou non, l'élite dirigeante, d'ailleurs dominée elle-même par une puissante personnalité, devient un élément centralisateur et autoritaire. Elle peut d'autant moins éluder cette nécessité qu'elle se trouve constamment aux prises avec le plus angoissant des problèmes, celui que pose un affreux paupérisme qu'aggrave inexorablement la montée de la population. Pour le combattre, on ne voit pas d'autre moyen que de moderniser l'économie indienne ; mais qui ne sait que la création des usines, l'augmentation du nombre des tracteurs, des camions et des trains, la construction des barrages et des centrales électriques, implique l'existence de mécanismes administratifs et sociaux évidemment peu compatibles avec la vie rustique et traditionnelle des communautés gandhistes ? Elles peuvent subsister quelque temps ou même se multiplier encore parce que l'Inde est un univers confus qui résiste à l'unification ; elles n'en sont pas moins sous la menace de radicales et rapides transformations. Il y a pire. En dépit de son étendue, de sa diversité, de la mollesse de ses tissus, de son dénuement physique, l'Inde est en train d'ajuster les cadres qui feront d'elle, à plus ou moins longue échéance, une nation moderne capable comme les autres d'introduire la technique au nombre de ses idoles ou de ses dieux ; sur le chemin de cette évolution, la guette celui qui s'en proclame le bénéficiaire expressément désigné, c'est-à-dire le communisme. Sa thèse . . . ' . pragmatique, sa tactique, consistent a soutenir qu'on ne saurait s'arrêter à des demi-mesures ou à des équivoques ; qu'un parti gouverne au nom du peuple et s'emploie à le tirer de son abjection par le planisme, la machine et l'égalisation des conditions, cela se définit par un nom, par des noms, que la Russie et la Chine arborent comme des drapeaux ; l'Inde n'a désormais qu'à s'inspirer d'expériences colossales dont on prétend qu'elles sont décisives. L'INDE offre ainsi une image à la fois grossie et schématique de nos propres difficultés ; tout s'y présente chez elle en de vastes dimensions, sous des formes ostensibles et presque typiques. Entrée depuis peu dans la vie politique autonome, arrachée à sa léthargie corporelle, il lui faut brftler les étapes et procéder rapidement à des choix décisifs. Au reste, nous voyons déjà que le dilemme posé par le titre du livre en marge
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