130 pureté commandent le respect, surtout quand on la compare à ses hideuses sœurs de Russie ou de Chine. Une des plus grandes victoires morales que l'on ait jamais vues s'était sous nos yeux inscrite dans les faits. Mais rien ne va sur terre sans compromissions ni revers. Notre propos n'est pas d'insister sur l'étrange tracé des frontières du Pakistan, ni sur les risques d'une indépendance totale, peu nécessaire alors que les Anglais se montraient si conciliants. La question décisive était de savoir si le gandhisme, après avoir triomphé par la vertu d'une sainte négation, de la noncollaboration, de la non-violence, de la grève patriotique, du mépris de soi, allait pouvoir diriger la construction d'un État nouveau. Certes, André Philip eut raison de remarquer que, par rapport à la somnolence de l'Inde traditionnelle, la doctrine et la tactique de Gandhi signifient un constant appel à l'héroïsme. Héroïsme passif toutefois, plus proche de celui des martyrs que de celui des conquérants ou des bâtisseurs, capable d'inspirer la désobéissance civile plus que l'édification sociale. Le gandhisme, fortifié plus que diminué par la mort tragique du maître définitivement promu au rang des saints légendaires, était-il porteur d'un programme valable pour l'Inde libre, c'est-à-dire pour l'Inde laissée à elle-même, livrée à ses faiblesses et à ses périls? Il faut répéter qu'un Gandhi est inconcevable en dehors d'une atmosphère toute religieuse ; lui-même est avant tout un croyant naïf et sublime aux yeux duquel tout s'absorbe en la divine unité. Les expressions matérielles et rituelles de la piété populaire, y compris comme on sait le respect des vaches, lui sont chères parce qu'il voit en elles les degrés de l'ascension spirituelle. Cela bien admis, Dieu est évidemment le seul possesseur des biens terrestres dont nous sommes seulement les dépositaires ou les usufruitiers. Il n'en faut pas conclure que tout soit parfait, que tout doive rester immuable, mais que la répartition et l'usage de ces biens dépendent pour ainsi dire d'un accord préalable avec Dieu, accord qui de la part de l'homme ne peut être qu' obéissance à l'impératif moral. Qu'il s'agisse donc d'émanciper les parias ou de lutter contre la misère, le vrai citoyen compte d'abord sur sa bonne volonté, sur sa charité, sur l'exemple qu'il donne; comme le maître, il ne cesse de s'offrir et de travailler plus qu'il n'enseigne, .il n'attend rien de cette fausse Providence, toujours trompeuse, qu'est l'État impersonnel et lointain .. L'action réformatrice, qui exclut toute contrainte et n'use que de la persuasion, s'exerce naturellement de proche BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL en proche à partir d'un centre vivant et dans des limites qui correspondent au pouvoir de chacun. Sa base ne peut être que le village et c'est là que tout commence; si l'on parvient à en faire une communauté fraternelle et courageuse, les associés vaincront la pénurie et n'iront pas se perdre dans l'enfer, dans l'égout des villes surpeuplées. D'un village à l'autre on verra se former des liens qui, sans codification textuelle, définiront des fédérations provinciales. A quoi bon continuer l'analyse? On voit que la doctrine sociale du gandhisme appartient à l'histoire du socialisme utopique. En des termes fort simplifiés nous y retrouvons Fourier, Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Tolstoï ou même ce que les anarcho-syndicalistes du début du siècle appelaient l'action directe, qui précède et devrait rendre superflue toute législation. Ces similitudes dûment constatées, on n'en est que plus à l'aise pour noter une différence fondamentale qui d'ailleurs est tout à l'avantage de l'Inde. Chez nous la plupart des socialistes utopiques ont cru possible la réalisation de leur Icarie par voie contractuelle, la conscience et la raison dictant son devoir à chacun. C'était beaucoup attendre de la nature humaine et l'on ne peut s'étonner que le résultat ait presque toujours été fort décevant. Le gandhisme s'épanouit au contraire en un climat de spiritualité et d'amour qui lui assure de bien meilleures chances ; l' expérience en témoigne, mais non sans laisser croître au sujet de l'avenir de sérieuses inquiétudes. EN PLEINElutte contre l'occupant britannique, Gandhi n'en avait pas moins accompli une œuvre qu'on peut dire sociale. Ses efforts en faveur des intou,chables, son rôle d'arbitre en différents conflits du travail, sa politique de rénovation de l'industrie artisanale et villageoise disent autant que ses articles coml?ien il tenait compte des besoins matériels et de la vie pratique. Mais c'est au plus grand de ses disciples, Vinoba, qu'a été réservé le soin de poursuivre et même d'amplifier la tâche si bien commencée; dans le livre de son biographe, Lanza del Vasto, ·on prend aisément connaissance de son programme et de sa méthode, tous deux d'une égale simplicité. En somme il s'agit d'obtenir par une prédication itinérante et une collaboration momentanée une réforme agraire qui se ferait village par village sur le principe du libre consentement. Tel un missionnaire parcourant un monde primitif, Vinoba paraît, exhorte, enregistre adhésions, promesses et d~ns, règle les partages,
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