, La chronique ·des « Sept Mers » du monde (comme on dit en anglais) est pleine du même • ·enseignement. L'Angleterre de la première Élisabeth était une nation de quelques millions d'âmes, à peine capable de dominer sa propre ile et de s'imposer à l'Écosse rivale. Mais au cours des trois siècles suivants, ces Anglais peu nombreux créèrent le plus puissant empire des temps modernes, autour de tous les océans et continents du globe. Depuis· une quinzaine d'années on assiste à son démembrement, alors que les gens de langue ou ·d'origine anglaises se comptent par centaines de niillions. Si vraiment il y avait un déterminisme gouvernant la formation et la désagrégation de l'Empire britannique, il s'agirait non pas tant d'une loi mécanique que d'une fatalité de psychologie. .,. · Après d'autres, Napoléon aurait dit: « Dieu est du côté des gros bataillons.» Mais il faut comprendre ·la maxime dans le contexte de la ·pensée napoléonienne, où elle exprime l'axiome militaire de la concentration des efforts. Si l'on veut y voir un cynisme, un fatalisme matérialistes, alors toute la carrière du grand Corse y oppose son démenti : Bonaparte était bien plus « faible » que ses antagonistes pendant la campagne d'Italie ; l'Enipereur disposera d'une grosse marge de supériorité numérique sur les Russes lorsqu'il ira chercher son destin à Moscou. De notre temps, qui est celui de la culture des masses et de la terreur ·massive, il est néanmoins possible de citer des cas où la valeur des hommes compense le poids des mécanismes. En 1939-1940, tandis que les puissances de l'Europe occidentale piétinaient au bord du gouffre, la Finlande remporta des succès défensifs contre l'incommensurable puissance soviétique, dont 1a poussée aurait dû être immédiatement mortelle. Personne, peut-être pas même les Finlandais, ne s'attendait à ces succès qui assurèrent et pour le moment continuent d'assurer la survie de cette petite nation du Nord européen. Un exemple hors série, puisqu'il rattache les problèmes du présent aux traditions les plus antiques, est celui de la récente reconstitution politique d'Israël. Aujourd'hui, on trouve naturel que ce minuscule État puisse tenir une place aux premiers rangs de l'arène proche-orientale et méditerranéenne. Militairement, il est en effet manifeste qu'Israël contrebalance n'importe quelle combinaison d'États arabes, ou prétendus tels. Pourtant, si l'on prend la peine d'y réfléchir, il apparaît que les vertus athéniennes sont là pour servir les vivants et non point seulement pour honorer les morts. L'lsraël moderne qui se formait en 1945-1949, qui repoussait pêleBiblioteca Gino Bianco • mêle une demi-douzaine d'armées,; avait_ pou_r dimensions· .quelques milliers de kilo~ètr~ carrés peuplés de quelques. centaines de mj\l_e habitants : grandeur comparable à- celle de. l_a république d'Athènes aux plus beaux jours d_e Miltiade et de Thémistocle. Précisément une prière hébraïque .tracijtio~:- .nelle commémore. chaque année cette tactique judéenne, maccabéenne, grâce à laquelle « les forts sont livrés aux mains des faibles, ceux qtti sont nombreux aux mains de ceux qui ne le spnt pas ». Digne croyance, et utile, de nos jours plu~ • • que Jamais. ; * * * .. ' SANS DOUTE cette thèse peu à la mode serat-elle écartée par les raisonneurs qui préfèrent ergot~r sur les détails techniquC?s, ou sur les mots. Il est évidemment facile de décrire tout vainqueur, après coup, comme « le plus fort» - avec l'esprit de l'escalier et dans un sens spécial, voire spécieux. Mais des arguties ne sauraient affecter la vérité générale. Quant aux arguments qui portent sur le niveau technologique où se déroule tel ou tel conflit, ils n'éclairent pas le problème qui nous intéresse. Technologie et stratégie ont toujours été mêlées, depuis le temps de la phalange macédonienne jusqu'à celui de la division blindée. La relation était déjà établie il y a dix mille ans et plus, dès l'invention de l'arc et des flèches; à vrai dire elle remonte bien plus loin, aux premières massues et pierres de jet. Certes la cuirasse et le dressage gymnastique de l'hoplite athénien ou lacédé.- monien entrent pour une part dans sa capacité de battre l'archer perse à la robe flottante. Pourtant cela ne rend pas compte de grand-chose ; car le cavalier mède, puis parthe, avait lui aussi ses avantages. On vante la solidité de la phalange; mais quand elle s'effondre brusquement, on parle avec autant de justesse de la flexibilité des légions romaines. Et ainsi de suite : il n'y a vraiment rien de moderne dans ce genre .de discussions. La ·technologie est un facteur qui doit figurer ·dans toute équation politico-militaire et qui prend même une importance rapidement croissante; mais ce facteur n'est pas en soi décisif universellement. D'autre part, la supériorité stratégique peut provenir d'éléments non techniques et non militaires. On vient de rappeler quel fut le développement étonnant de l'Angleterre en tant que puissance navale. Or, ce qui l'emporta ne fut pas le vaisseau de ligne anglais (techniquement il n'était pas supérieur au navire français ;
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