116 Ouvriers soviétiques LEIF BJORK: Les Conditions de travail dans l'entreprise soviétique. Traduit du suédois. Paris, Éditions de !'Entreprise Moderne, 1955, 161 pp. ON SAITce que valent les récits de voyageurs qui, après un bref séjour en Union soviétique, se croient assez renseignés sur le système dit communiste pour livr~r au public leurs observations et réflexions. Aussi doit-on souligner que le présent ouvrage n'a rien à voir avec cette espèce de littérature. M. Bjork a écrit, lui aussi, après une visite en URSS, où il s'était rendu en qualité d'interprète d'une délégation syndicale suédoise. Mais, comme il le précise dans sa préface, ce voyage, de même d'ailleurs que des informations reçues de personnes ayant vécu en Russie et la lecture d'ouvrages non soviétiques, l'a incité à se documenter sérieusement sur la condition faite à l'ouvrier soviétique. Son livre, loin de se fonder sur des impressions touristiques, résume le résultat de ces études. Si tous ceux qui se rendent à présent en URSS procédaient de la sorte, le tourisme Est-Ouest cesserait de servir à intoxiquer l'opinion publique et pourrait même enrichir nos connaissances. Rédigé avec une clarté exemplaire, le livre donne · un aperçu de tous les aspects du problème : législation du travail, système des salaires et des prix-, politique sociale du gouvernement, position des syndicats. C'est un manuel presque idéal pour tout militant ouvrier qui doit faire face, dans son activité de tous les jours, à la démagogie totalitaire de la CGT et du parti communiste. * Il y trouvera maintes données précises, avec références aux sources soviétiques. Et bien que l'auteur cherche ses renseignements dans les textes officiels, il sait en extraire tout ce qui se rapporte aux réalités et écarter l'argument idéologique. Il fait preuve à ce propos de beaucoup de bon sens et d'intelligence des problèmes ouvriers, ce dont on peut se convaincre en comparant par exemple son chapitre sur la structure et les fonctions des syndicats à l'ouvrage consacré au même sujet par M. Deutscher** : ce dernier n'arrive pas à séparer le fait social de la « superstructure » théologiquP- Qui escamote sa signification précise; M. Bjrrk n'a pas besoin de plus de quinze pages pour expliquer l'agencement et les activités de ces syndicats d'État d'une façon parfaitement concise. Comme l'ouvrage est de nature à instruire en premier lieu les syndicalistes, il est. à regretter que pour le p·ublier en françàis il ile se soit pas trouvé d'éditeur touchant le milieu ouvrier ; et que cet ouvrage d'un syndicaliste ait dû paraître dans ·une * Signalons dans -le même ordre d'idées la publication en français de l'excellente brochure préparée par M. Shub sous )es auspices du Comité syndical pour la libération des syndicalistes et socialistes emprisonnés, avec l'aide de l'hebdomadaire New Leader (ANATOLE SmiB : Le mouvement ouvrier dans le monde soviétique. Préface de G.-D. Oelamarre. Paris, supplément à Démocratie Française, 1957, 13 3 pp.). · ** ISAAC ·D·EUTSCHÈR : Soviet Trade Unions. Londres et New York, 1950, 156 pp. · Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL collection où l'on ne le chercherait guère, parmi divers manuels à l'usage des contremaîtres ou des chefs d'entreprise. Ce qui ne diminue nullement le mérite de la maison d'éditions qui a ainsi pallié une fâcheuse carence.· D'ailleurs, le livre sera également utile aux chercheurs. A ceux qui se préoccupent particulièrement de la condition du travail en URSS - mais combien sont-ils dans le monde entier? - il apprendra sans doute peu de chose. Encore y trouveront-ils bien des données, tels les nombreux barèmes des salaires dans différentes industries, que l'auteur a puisées à des sources difficilement accessibles. C'est surtout à ceux qui s'intéressent à d'autres aspects du monde soviétique, ou à l'économie et à la législation ouvrière des pays non soviétiques, que l'étude de M. Bjork servira d'ouvrage de référence. Il est dommage à cet égard qu'à l'exception de trois travaux occidentaux, sa bibliographie comprenne exclusivement des publications soviétiques. * 'Jf 'Jf .. QUANTAUFOND,on ne peut signaler qu'une seule lacune d'importance : en exposant le système des salaires, l'auteur s'est limité à la réglementation de la rémunération individuelle (barèmes, normes de rendement, calcul des salaires aux pièces, reclassement dans une catégorie supérieure, salaire tari- • faire et paie effective, traitements des employés, primes, fonds directorial, rémunération en cas d'arrêt de travail ou de fabrication défectueuse, retenues, etc.) Or, dans le système soviétique, la paie dépend non seulement des règles ayant trait au salaire in~el, mais encore des résultats obtenus par l'entreprise. Celle-ci dispose d'un « fonds de salaires >> dans lequel elle ne peut puiser qu'à mesure de l'exécution de son plan de production. Si les objectifs de ce dernier ne sont pa_sentièrement atteints, la masse globale des salaires diminue proportionnellement et les gains des ouvriers s'en ressentent; même si les ouvriers n'y sont pour. rien, même s'ils ont réalisé les normes de rendement prescrites. C'est là, à coup sûr, un des traits les plus intéressants de la politique soviétique des salaires. . On ne peut pas trop reprocher à M. Bjork de ne pas s'en apercevoir : bieri d'autres auteurs occidentaux ont commis, avant lui, la même omission. Les commentateurs soviétiques eux-mêmes se montrent souvent fort discrets à ce sujet ou fournissent des explications contradictoires. 11 y ~ pour cela qe bonnes raisons. D'abord, les prescriptions sont peu claires, ensuite leur degré d'application dépend en premier lieu de l'importance attachée à l'entreprise visée, du prestige de son directeur et last but not least du trafic d'influence pratiqué par ce dernier. Il serait d'autant plus souhaitable que ce phénomène révélateur fût attentivement étudié . . . . . par un ,auteur aussi averti et perspicace que M. Bjork. PAUL BARTON •
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