Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

QUELQUES LIVRES 4. Au communisme s'opposent en premier lieu ceux qui s'efforcent d'opérer une révolution sociale par ~es moyens pacifiques et démocratiques. On pourrait dégager aussi une cinquième conclusion, celle-là seulement implicite dans l'ouvrage de M. Alexander : l'Amérique latine offre une preuve décisive que le communisme est engendré non par la misère, mais par l'échec de ceux qui cherchent à combattre la misère sans sacrifier ni la justice ni la liberté. L'auteur de Communism in Latin America constate enfin que les dictatures sont éphémères et ne peuvent suffire à barrer le chemin au communisme. C-elui-ci ne peut être vaincu que par des hommes capables d'imposer en Amérique latine un programme original en même temps que constructif de réforme sociale. L'ouvrage de R. Alexander amène à la compréhension de cette vérité essentielle. VICTOR ALBA Une épopée moderne CHARLES MoRAZÉ : Les Bourgeois conquérants. Paris, Armand Colin, 1957. M. MoRAZÉ s'est attaqué à un grand œuvre : le tableau de la civilisation moderne que la bourgeoisie façonne à la fin du XVIIIe siècle et qu'elle étend avec ses conquêtes au monde entier dans le siècle suivant. C'est mieux qu'une page d'histoire : une fresque où s'esquisse au travers d'une vue panoramique des pays et des sociétés le devenir humain. L'ouvrage condense la matière d'innombrables études, conduit au milieu d'un foisonnement de faits et d'idées, d'Espagne ·en Afrique noire, des États-Unis à l'Extrême.:.:Orient. Rien n'est omis, et des notations très sûres soulignent d'un trait, en Europe et hors d'Europe, l'apparition d'un nouveau règne économique, de nouvelles façons de vivre et de penser qui sont ceux de la bourgeoisie conquérante : Dans ce monde où l'industrie et le commerce commencent déjà d'être les Figures allégoriques abstraites par excellence, trônant au front des palais nouveaux, des journaux, des proclamations édifiantes des hommes privés et publics, tout bientôt va se mesurer à la confiance mutuelle qui se mesure à l'habileté d'entreprise tout autant qu'à la fidélité au contrat, de ces contrats qui font la loi des panies .... La nouvelle ambition? Soigner son crédit. (p. 149.) Le lecteur, c'est certain, prend plaisir à parcourir l'ouvrage; il y puise des renseignements de tous ordres et, accompagnant l'auteur dans son vaste tour d'horizon, accroit singulièrement ses connaissances. Des puits de mine aux salles de spectacle, des comptoirs coloniaux aux manufactures anglaises, des banques aux cénacles poétiques, rien ne manque au tableau. M. Morazé peint par petites Biblioteca Gino Bianco 115 touches précises, mais peut-être le mode d'exposition haché, le découpage du livre, époque après époque, pays après pays, se ressentent-ils un peu trop de nos habitudes scolaires. L'auteur est un professeur ; on ne saurait lui en faire grief. Et après tout, un manuel pour «gens très bien » n'est pas tellement à dédaigner. Pour intéressant qu'il soit, l'ouvrage présente plus de surface que de profondeur. L'auteur donne de son héros collectif une image un peu conventionnelle, un peu noire d'ailleurs, conforme certes dans ses grandes lignes à l'expansion du capitalisme, mais sans nuances. Il a peu fouillé la généalogie de la classe sociale qu'il décrit, et il oublie trop qu'à l'origine du capitaine d'industrie, il n'y a souvent qu'un Orgon de province. C'est une lacune, pour qui prétend mêler l'étude des idéologies à l'histoire économique, que de négliger comme le fait un peu notre auteur les comportements ancestraux. Le bourgeois a révélé son vrai visage bien avant 1789. Assises terriennes, calculs villageois et marchés locaux ont sans doute plus fortement marqué l'esprit bourgeois que les expéditions des négociants outre-mer. En plein XIXe siècle encore, sous Louis-Philippe, la peur du risque et la mentalité du «gagne-petit» l'emportait sur l'esprit d'entreprise. M. Morazé dira que ce n'était pas le cas en Angleterre. Peut-être ; au moins fallait-il le souligner dans les nombreuses pages consacrées à la France. Un autre point sur lequel il est difficile de s'accorder complètement avec l'auteur, c'est l'éclairage unilatéral sous lequel il montre les faits de culture. Qu'il s'agisse de sciences, d'art ou de littérature, ils apparaissent surtout comme une réplique de l'expansion économique : du téléphone de Graham Bell à l'Après-Midi d'un faune. Il y a là une méthode bien connue qui, sans se compromettre ouvertement dans l'énoncé strict de relations causales, se réfugie dans un prudent parallélisme qui relègue à l'arrière-plan le pouvoir moteur des idées. En ces siècles si fortement marqués par la révolution spirituelle et politique, où fusent de toutes parts des doctrines nouvelles dont la genèse est un humanisme et qui dépassent de fort loin les préoccupations économiques, où la science ellemême prend un essor que seule une curiosité insatiable et désintéressée explique finalement, l'historien doit être plus un historien des idées qu'un simple observateur des modes. La méthode de M. Morazé est certainement louable dans son effort de synthèse, mais elle semble courte dans celui de l'explication. Le livre est fort bien écrit, concret, divers, toujours distrayant. Il apporte une contribution intéressante à l'histoire des temps modernes, et il donne à penser. Illustré avec discernement, complété par une minutieuse chronologie, on ne peut qu'e!n recommander la lecture à ceux qui, tout en s'instruisant des faits, cherchent une vue d'ensemble sur notre civilisation : l'ouvrage, fortement documenté,. leur donnera satisfaction. • ROBERT PBTITGAND

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