E. F. GAUTIER l'avoir entendu et exaucé. Mais voici un petit détail qui n'est pas une plaisanterie; il montre la lutte féroce et d'ailleurs victorieuse contre la famine. Un Ouled-Naïl en voyage déploie, bien entendu, ces qualités de· marcheur admirable qui sont communes dans toute l'Afrique du Nord ; il n'emporte pas, au dire de Ben-Chérif, la galette traditionnelle ; il part avec simplement une poignée de blé dans le capuchon de son burnous, et lentement, au cours de la journée, tout en « marchant la route», il écrase entre ses dents grain après grain, économisant ainsi, dans sa sagesse, les frais de meunerie et de boulangerie. Je ne sais pas si l'anecdote est rigoureusement exacte, elle est peutêtre un peu chargée, mais elle dessine du Berbère une silhouette qui est juste dans l'ensemble. Il faut songer au petit cheval barbe, si sobre et si endurant. On lui donne au maximum cinq ou six kilos d'orge par jour, c'est-à-dire que nous les lui· donnons, nous, Européens, avec nos habitudes de folle prodigalité. En France, n'est-ce pas, un cheval réclame une quinzaine de kilos d'avoine. Il est vrai qu'il est bien plus haut et plus membré. Mais la moindre petite bique africaine, dont les os percent la peau, fera quatre-vingts kilomètres en un jour et recommencera le lendemain. Où est le gros cheval de chez nous qui en ferait autant sans être fourbu? Il faut songer encore au bourriquot, au fameux bourriquot africain. On le rencontre partout, bâté du double couffin, aussi gros que lui, et dans lequel on entasse tout ce qu'on veut, du fumier, des déblais de terrassement. D'autres fois le bourriquot porte sur son échine un grand gaillard dont les pieds touchent terre. Souvent il a les deux narines fendues au couteau très haut dans la direction de l'œil : c'est pour lui faciliter la respiration! Ce bourriquot est d'ailleurs le plus minuscule des ânes connus, et personne, excepté lui-même, n'a jamais pu savoir ce qu'il mange; ça le regarde, « deber ras-hou », qu'il se débrouille pour son compte personnel, son propriétaire n'y donne pas une pensée. Toutes les bêtes de ce pays-ci sont de ce modèle sec, sobre et endurant : et avec les autres animaux l'homme aussi, leur chef de file. C'est le pays de sel qui veut ça : la dureté de la vie élimine les faibles, et le soleil, tueur de germes, dans l'air sec et sur la terre nue, est un excellent désinfectant. Voici encore ce que dit une institutrice de la Kalaa des Beni-Abbès, dans la Kabylie des Babors. Il faut rappeler que ce mot d'instituteur, comme il est fréquent en d'autres matières, désigne de part et d'autre de la Méditerranée des fonctions très différentes. L'instituteur algérien, du moins l'instituteur européen en pays indigène, est dans une situation très particulière. Il est tout près des indigènes, il vit avec eux coude à coude, mêlé à leur vie. Et cependant il n'est pas colon, il n'a pas d'intérêts locaux qui le mettent en concurrence avec l'indigène. Il n'a pas non plus, comme le garde forestier, à appliquer un règlement redouté. Il n'est même pas revêtu de cet éclat officiel qui jette nécessairement un froid. Un mmage d'instiBiblioteca Gino Bianco 105 tuteurs ayant vécu toute une vie dans le même village kabyle perdu, ce sont peut-être les Européens les mieux placés pour voir profond dans l'âme indigène, s'ils savent voir. Voici comment l'institutrice de la Kalaa parle de la jeune fille kabyle son élève, qu'elle aime bien et dont elle se croit aimée. La famille kabyle pullule très à l'étroit dans une maison toute petite; la fillette, qui vit à l'intérieur de la maison bien plus que le petit garçon, souffre devantage de cette promiscuité. Il faut marier de très bonne heure, dès la douzième année, cette gamine trop avertie. Elles deviennent mères tout de suite et le premier bébé a de la chance s'il survit; la maman est trop gosse, trop rieuse et trop joueuse pour prendre vraiment au sérieux son premier-né ; ça ne compte pas, elle a toute une vie pour en faire beaucoup d'autres. A entendre parler de ces fillettes qui ont le corps d'une mère avant d'en avoir l'âme, il me semble qu'on touche du doigt, dans un exemple concret, la prodigalité de la vie. Assurément la Berbérie est un pays où la « plante humaine >> pousse drue et vigoureuse. Ces hommes physiquement bien doués, on a quelquefois supposé qu'ils l'étaient moins bien intellectuellement. C'est une question délicate. Pour nos humanitaires, c'est un blasphème que de parler de races inégales ; et en ce moment précis la théorie du surhomme sombre dans un océan de sang. Pourtant l'homo Europœus, d'une part, et d'autre part le pygmée par exemple, semblent bien être des sous-espèces zoologiques entre lesquelles il y a vraiment une gradation. Mais les Berbères ne sont pas du tout des pygmées. Pour expliquer l'impuissance politique des républiques sud-américaines, on a parfois invoqué un motif de race. Les Américains du Sud sont un croisement d' Indiens et d'Espagnols ; et le métissage de types humains très éloignés donnerait des résultats médiocres. On a cru observer dans l'histoire du Portugal un arrêt de développement, et on l'a imaginé en relation avec l'afflux de sang nègre dans un petit pays qui s'est trouvé avoir un empire colonial immense. Faut-il ranger l'Afrique du Nord dans la même catégorie que le Portugal et l'Amérique du Sud? Il est sûr que de l'extrême Nord d'une part, et des régions équatoriales de l'autre, des Vandales et des Soudanais sont venus se fondre dans la race berbère, quoique ces éléments du mélange soient en dose très faible. A vrai dire l'idée d'une infériorité biologique n'est pas très séduisante. Il n'est pas possible d'oublier que ce pays-ci a fourni à l'histoire quelques-uns de ses géants. Annibal a beau être un Carthaginois et saint Augustin un Latin ; ce sont là des étiquettes qui ne changent rien au fond : Annibal et saint Augustin sortent tous deux d'une lignée nord-africaine. Et il serait aisé d'allonger la liste des grands hommes maugrebins. En Algérie, depuis la conquête française, on a vu une fraction de la population, l'israélite, absorber avidement toute l'intellectualité occidentale. Les jeunes Israélites sont généralcm nt à la tête de leur
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