Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

104 il lui faut de grands marchés largement ouverts, et aussi étrangers que possible, sous d'autres cieux. C'est une prospérité un peu artificielle et délicate ; elle dépend de conditions compliquées, politiques. A l'élan économique de l'Algérie, les mines contribuent largement elles aussi, mais un peu de la même façon ; elles exigent l'existence d'une clientèle étrangère. L'Afrique du Nord a la bonne fortune d'avoir en quantités énormes des phosphates comme on n'en a découvert nulle part encore dans le monde : elle est devenue le fournisseur de phosphates de la planète. Elle a, en gros amas, le minerai le plus recherché à notre époque, le fer. Elle a encore du zinc, et des mines de plomb, où il n'a pas été creusé un mètre de galerie depuis la chute de l'empire romain jusqu'à l'occupation française. Mais rien de tout cela ne peut être travaillé sur place. Sur les quais des ports algériens, le minerai en partance tire l' œil plus que toute autre marchandise ; le zinc et le plomb sont assez discrets: ils sont en sacs; mais le fer et le phosphate sont en vrac, entassés grossièrement en grandes collines rouges et blanches : on les voit de partout, ces collines ; ce sont elles qui donnent aux ports leur physionomie nord-africaine. Cela suppose un lien avec des centres industriels lointains dont la vie minière algérienne est une dépendance. Vidal de la Blache a insisté sur ce qui lui paraît être la caractéristique essentielle de la France, qui est de se suffire à soi-même. Il n'y a guère de coin chez nous où le paysan ne trouve à portée de sa main à peu près tous les produits variés qui lui sont nécessaires pour prospérer. Malgré l'insuffisance de ses ressources en charbon, plus ou moins compensée par sa richesse en force hydraulique, la France a pu développer l'industrie qui correspond à ses besoins. C'est essentiellement un pays équilibré. Le Maghreb est assez exactement l'inverse. C'est qu'il n'est pas seulement un pays de sel, imparfaitement dégagé du Sahara. Il a par surcroît d'un bout à l'autre la même nuance de climat subdésertique. Et en effet ce long ruban de 3 000 kilomètres s'étire d'est en ouest sous les mêmes latitudes. Où qu'on aille, on retrouve partout le même ciel et le même sol. On n'imagine pas un pays moins varié, plus uniforme. L'aridité relative du climat ·ne permet en aucun point le développement d'une prospérité locale. Dans un pays aussi grand, il se trouve à l'état de possibilités certaines ressources immenses, le vin, l'l1uile, la laine, les minerais ; mais pour faire passer ces richesses latentes de l'état statique à l'état dynamique, il faut l'organisation, les capitaux, la production en grand, l'exportation; tout un ensemble de conditions que le Maghreb ne peut pas créer lui-même. Qui se;a-- l'animateur de l'ensemble dans un pays dont toutes les provinces dépérissent? Le Maghreb est condamné par son climat à ne pas se suffire ; son développement économique suppose une collaboration. Comment ne pas voir un lien entre ces conditions économiques et le trait caractéristique de l'histoire maugrebine qui est de ne pas avoir abouti à la constitution d'un État autonome? Biblioteca Gino Bianco PAGES RETROUVÉES La race TEL SERAIT à peu près, dans ses traits généraux, le milieu physique, qui aide à comprendre l'histoire du Maghreb. Mais le milieu n'est pas tout, il faut prendre en considération la race. Le Berbère, qui a cette curieuse impuissance à exister collectivement, est un très bel individu. Ce n'est pas un type humain bien déterminé : il y en a de gigantesques et d'autres tout petits, quelques-uns sont blonds et d'autres sont presque des nègres. Cette race est un pot pourri au moins aussi extraordinaire que n'importe quelle autre. Mais il y a un trait commun très frappant, l'empreinte particulière du pays. Les anciens l'exprimaient en disant des Libyens qu'ils sont, de tous les hommes, ceux qui ont la plus belle santé. C'est un cliché : plerosque senectus dissolvit, dit Salluste, « ces gens-là ne meurent que de vieillesse»; et il dit aussi : velox, patiens labarum, « ils sont vifs et durs à la peine ». On peut essayer de préciser la. même idée avec une ou deux anecdotes contemporaines. Le docteur Gavart, médecin de colonisation à Port-Gueydon, trouve aux Kabyles un péritoine de chiens. Les chiens dont il s'agit sont ceux qui se font découdre par !e sanglier ; un garde les recoud avec n'importe quel fil et n'importe quelle aiguille et ils ne s'en portent pas plus mal. Les ventres de Kabyles sont à peu près aussi accommodants. Entre plusieurs cas analogues, en voici un que cite le docteur Gavart. Un homme a reçu un coup de corne dans le ventre ; le chirurgien le trouve étendu au pied d'un figuier, roulé dans son burnous crasseux dans le bourdonnement des mouches; il est là depuis plusieurs heures. On l'opère sur place; pendant l'opération, dit le docteur Gavart, « les puces sautaient sur mon champ opératoire », euphémisme qui désigne naturellement le ventre ouvert du malade. Le cas paraissait clair et la péritonite inévitable. l-Iuit jours après, le médecin de colonisation était chez lui au dispensaire de Port-Gueydon, il entend une cavalcade à la porte ; c'était son opéré qui venait au petit trot d'un mulet se faire e·nlever les points de suture. Naturellement il s'agit là d'une immunisation contre un microbe déterminé. Elle n'existe plus contre un germe pathogène nouvellement importé, comme le microbe de la tuberculose. Voici un autre menu fait qui ne concerne plus les Kabyles mais les Ouled-Naïl de Djelfa. Celui qui parle est le caïd Ben-Chérif, très francisé, très séduisant : il est le héros d'un roman qui s'appelle Mouley-Ali, ,et dont l'auteur est Herr Van den Burg. Ben-Chérif déplore le pullulement de ses administrés, hors de toute proportion avec les ressoùrces locales. « Autrefois, dit-il, la guerre chronique y mettait bon ordre ; la surpopulation trouvait so:i remède dans le meurtre, au temps où la France n'avait pas encore importé cette effroyable calamité, la paix publique. » Vous entendez bien qu'il s'agit d'une plaisanterie, d'un paradoxe. Et si Ben-Chérif s'est rappelé cette conversation, il a lieu de remercier Allah qui depuis le mois d'août 1914 paraît

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