Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

E. F. GAUTIER de l'occupation française on a fait grand usage de cette citation encourageante. Elle n'est pas fàusse; il est très vrai que l'Afrique romaine a porté ce surnom. Mais voici quel en était le sens exact, au dire des archéologues : la Rome des empereurs, celle qui assurait à la plèbe « le pain et le cirque », se procurait le pain par un impôt en nature sur certaines provinces, l'annone. L'Afrique romaine était taxée annuellement d'une quantité de froment calculée pour nourrir la moitié de la plèbe romaine, soit environ 350 000 âmes. Pour un pays aussi étendu, une exportation équivalente aux besoins d'un tiers de million de consommateurs, c'est bien peu de chose, à l'échelle dont se servent les économistes. Et ainsi, que l'Afrique ait été le grenier de· Rome, c'est littéralement exact, et, justement pour cela, ça ne signifie rien. 11 ne faut pas oublier qu'en ce moment même, grâce à un renouveau du dry farming, que Carthage pratiquait déjà, la réputation de l'Algérie en matière de céréales est devenue beaucoup moins mauvaise. Il y a une forme d'agriculture pour pays de sel. La lutte est possible. Mais c'est une lutte. Le Maghreb n'est assurément pas un pays plantureusement fertile. Ce n'est pas non plus un pays d'élevage facile. Les petits bœufs maugrebins ne sont guère plus gros que nos ânes. Pour tirer des grands troupeaux de moutons tout ce qu'on pourrait en espérer, il faudrait trouver le moyen de les soustraire à la mortalité effroyable des années de sécheresse. Le Maghreb n'est pas non plus un pays industriel. Ses oueds ne sont assurément pas des réserves importantes de force hydraulique. La houille et le lignite font presque complètement défaut. Le seul gisement de houille actuellement connu, celui de Kenatsa, semble peu important et mal placé; on peut croire qu'il continuerait à rendre peu de services, même s'il n'était pas exploité par l'État. Le gisement de Djerada semble beaucoup plus sérieux mais n'est pas enc_pre exploité. Le pétrole est une espérance ; ce n'est pas encore une réalité. Dans le sous-sol du Maghreb, assez bien connu déjà, ce que les géologues ont retrouvé à des étages très variés de la série sédimentaire, ce n'est pas du charbon, représentant de vieilles forêts momifiées, c'est assez exactement l'inverse, du sel, du plâtre, des stigmates très nets d'un climat désertique ancien. Tout se passe comme si la malédiction des pays de sel avait pesé sur le Maghreb depuis le commencement des âges. On ne veut pas dire que l'Afrique du Nord soit pauvre irrémédiablement. L'Algérie vient de traverser une période de grande prospérité. Et il est intéressant d'en analyser les éléments. Elle la doit à la vigne. Depuis le début, l'Algérie a cherché la culture industrielle qui lui apporterait la richesse. Elle a beaucoup tâtonné. Elle a essayé du coton, pendant la guerre de Sécession, et elle met à profit les écarts du change pour recommencer en ce moment même. Elle a étudié la ramie, le sapindus. Elle a fait en grand du géranium. Elle a fait et elle fait encore des primeurs. Mais le gros succès, jusqu'ici, ç'a été la vigne. La vigne, depuis vingt BibliotecaGinoBianco 103 ans, rapporte à l'Algérie des sommes d'argent énormes, elle a fait une révolution économique, et même morale : elle a changé l'atmosphère, exalté la joie de vivre et la fièvre d'entreprendre; elle a fait pousser Alger en ville champignon. Tout cela, bien entendu, aux proportions de l'Algérie, qui n'est pas l'Amérique. Mais enfin cette expansion subite, quelle qu'elle ait été, fut l' œuvre de la vigne.· L'Algérie romaine, au dire des archéologues, a dû sa prospérité à une autre culture industrielle, celle de l'olivier. Je suppose qu'on peut appeler industrielles des cultures qui seraient alimentaires en soi, mais qui ne deviennent intéressantes que parce qu'on les fait en très grand pour l'exportation. On dit qu'à Rome, en Italie, sur des points divers du monde méditerranéen, c'est-à-dire de l'empire romain, on trouve en abondance des amphores et des débris d'amphores ayant contenu de l'huile, et provenant de l'Afrique du Nord, comme l'attestent les marques des potiers. Ici, dans les ruines romaines, les moulins à huile sont très fréquents. C'est leur extrême abon- · dance dans un pays désolé qui a suggéré à Paul Bourde, alors directeur de l'agriculture en Tunisie, l'idée de revivifier le Sud tunisien en reconstituant ses olivettes. Il y a parfaitement réussi, ce qui est curieux si l'on considère le point de départ : l'archéologie n'a pas souvent eu la bonne fortune d'avoir une portée pratique. Un auteur arabe nous renseigne sur l'importance des huileries dans l'Afrique romaine. Il le fait, bien entendu, à la manière floue et imagée d'un historien musulman. C'est Abd el-Hakem, le chroniqueur le plus ancien de la conquête. Il s'agit de la première expédition arabe, celle où le patrice Grégoire, déguisé par ses vainqueurs en « Djoreidjir », a trouvé la mort. Cette première expédition ne fut qu'une grande razzia ; les Grecs vaincus y mirent fin en payant une énorme rançon. La scène racontée par Abd el-Hakem se passe à côté de cette rançon, un gros tas d'or et de choses précieuses. Un Bédouin, parmi les vainqueurs,· demande avec étonnement : « Comment font les Grecs pour être si riches? » Un Grec sourit, cherche un instant de l'œil à terre, se baisse, et présente, à titre de réponse, entre le pouce et l'index, un noyau d'olive : « Voilà ! » L'anecdote est amusante, et pourtant, j'imagine, elle a une valeur documentaire. Une phrase d'un annaliste musulman a été bien souvent citée, parce qu'elle peint la prospérité de l'Afrique romaine à laquelle a mis fin la conquête arabe. « Tout le pays, depuis Tripoli jusqu'à Tanger, n'était qu'un seul bocage, et une succession continuelle de villages. » * Une variante de cette pl1ra est que de Tripoli à Tanger on ,·oyageait à l'ombr . Il n'y a rien dans tout cela que de tr' naturel et de très connu. On sait bien que les << agrum s >1 , oliviers, figuiers, vignobles font la prospérit d l'Italie méridionale et des pays m ·diterran ens: c'est la vraie culture du pays. Seulement elle n'acquiert son importance que par l'exp rtation • lbn-Khaldoun : Histoir des Berb r s (Ala r, 1852-56), t. I, p. 341.

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