Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

102 la plus ridicule du monde. C'est, en bordure ·de la Méditerranée et de l'Océan, un immense ruban, long de 3 000 kilomètres et large à peine de 150. Il est certain qu'une pareille structure géographique ne peut pas manquer d'avoir commandé l'histoire. On lui a souvent attribué cette incapacité du Maghreb à se constituer en État durable. · Ce · n'est pas inexact, mais c'est pourtant incomplet. Il est vrai que le Maghreb n'est jamais arrivé à l'unité politique. Mais presque tous les grands royaumes maugrebins présentent une particularité curieuse. A peine constitués, ils se sont étendus d'un .bond jusqu'aux limites du pays. C'était déjà vrai des rois numides, puisque Syphax qui régnait à Cirta, aux portes de Carthage, était maître de Rachgoun, le port de Tlemcen. Les Fatimides, à peine maîtres de Kairouan, ont conquis Fès. Les Almohades, à peine maîtres de Fès, ont conquis Tunis. C'est l'inverse de ce qui se passe en Europe ; autour d'un noyau central qui s'est constitué d'abord, l'Ile-de-France, la Prusse, la Castille, la vieille Angleterre, l'État a étendu lentement à travers les siècles ses conquêtes ; il met très longtemps à atteindre les frontières du pays; mais l'édifice ainsi construit avec la collaboration du temps est solide. Au Maghreb l'unité semble trop facile à réaliser, puisqu'elle se réalise toujours en un petit nombre d'années. Seulement elle ne tient jamais. L'État maugrebin est un État champignon . . . . . , qw pousse en une nuit, et mo1s1t en une mat1nee. Un détail de la structure géographique rend très bien compte du phénomène. Tantôt au sud et tantôt au cœur de cette ligne de montagne qui constitue le Maghreb «utile», une autre ligne court parallèle ou entrelacée. C'est un chapelet de plaines hautes et basses, généralement steppiennes, qui court depuis les Syrtes jusqu'à l'Atlantique. On reviendra longuement et à maintes reprises sur cette longue route naturelle qui articule et ouvre le Maghreb entier, sur laquelle, de bout en bout, ont cheminé toutes les tribus nomades et toutes les armées. C'est le grand principe d'unité. Le long de cette artère le virus de la conquête circule avec une rapidité surprenante à travers tout l'organisme, de l'Atlantique aux Syrtes, ou vice versa. Malheureusement cette artère unique est trop longue et · trop mince; elle s'engorge, elle se coupe, la circulation se fait mal. Et la conquête si bien commencée reste une ébauche fragile. Pays de sel PAGES RETROUVÉES anecdote soit authentique. Elle suggère par analogie· qu'il ne faudrait pas parler de l'Algérie sans se· souvenir qu'elle est un pays de sel. · , · Il n'y a ici en fait d'eau stagnante que des « chotts »· qui sont, pendant les neuf dixièmes de l'année, des plaines chauves miroitantes de sel. Le nom de rivière le plus commun de beaucoup est oued Melah, la rivière salée ; en· Oranie, où la langue espagnole est répandue, il y a des Rio Salado. . En plein Tell, à côté d'Alger, il y a des villages (Vesoul Benian par exemple) qui ne peuvent .pas employer leur eau à certains usages, comme le savonnage ou la cuisson des légumes, parce qu'elle est chargée de principes minéraux. A Touggourt, il faut un mois de dysenterie pour s'habituer · à l'eau, si on y parvient. Les pharmaciens d'Alger, jusqu'au début de la guerre, ont pourtant vendu de l'eau d'Hunyadi J anos. C'est la preuve la plus éclatante de la difficulté qu'éprouve un pays neuf à mettre en valeur ses ressources. Où qu'on aille, le long des sentiers et des routes, en regardant par la portière du wagon, les arabesques des efflorescences salines sur le sol sont un spectacle banal. On peut en voir sur son balcon, à la surface du terreau dans une caisse où des bégonias se débrouillent comme ils peuvent. Ça n'est pas neuf évidemment ; tout le monde sait que le plus grand désert de la planète entoure le Maghreb et le pénètre de son influence, comme tout le monde sait d'ailleurs que l'Angleterre est une île. Quand on déduit les conséquences de ce petit fait bien simple, on est surpris de voir où elles vont. Dans les parties mêmes de l'Algérie où l'agriculture est possible, il faut songer que le sol arable fait souvent défaut : ce que nous appelons de la terre dans le langage courant, l'humus, l'accumulation millénaire des détritus, des pourritures, des décompositions ; il faut de l'humidité pour maintenir sur la face de la terre ce masque de crasse bienfaisante. Au Maghreb le squelette rocheux du sous-sol perce partout, nu, propre, et comme , , epoussete. Ailleurs on a étudié et catalogué des sols célèbres par leur fertilité, le lœss,_le limon, le tchernoziom russe ; icî la seule forme de sol qui ait attiré par son originalité l'attention des savants, c'est ce qu'ils appellent la · croûte calcaire, les Américains disent le caliche. C'est un effet de l'évaporation intense. Dans les grandes plaines d'alluvions, celle du Chéliff par exemple, justement là où il y a par bonheur un sol meuble et profond, l'eau qui ÜN CROIT devoir insister longuement sur un monte par capillarité à la surface, pour s'y évaporer,. dernier trait de la géographie maugrebine dont les y dépose le carbonate de chaux dont elle est chargée. conséquences paraissent avoir échappé à l'attention, Il en résulte une croûte qu'il faut briser pour cultiet qui est peut-être cependant le plus important ver, si toutefois elle n'est pas trop épaisse. de tous. Il s'agit du climat, en effet, et aucun autre/ Dans ce pays-ci, quand on s'informe on apprerid facteur géographique n'a une importance humaine avec surprise que le grain donne en moyenne du comparable à celle du climat. dix à quinze pour un, tandis que dans nos sols On dit que Ferdinand -Brunetière, lorsqu'on limoneux de l'Artois et du Nord on obtient de lui apportait pour la Revue des Deux Mondes un quarante à cinquante. article sur l'Angleterre, posait volontiers cette Cela cp.oque chez nous un préjugé classique. question de principe : « Avez-vous dit que l'Angle- L'Afrique grenier de Rome, nous avons tous ce terre est une île?» Il n'est pas nécessaire que cette cliché-là dans un coin de notre mémoire. Au début BibliotecaGinoBianco

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