Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

Pages retrouvées LE PASSÉ DE L'AFRIQUE DU NORD par E. F. Gautier Les polémiques qui font rage depuis une dizaine d'années autour des événements d'Afrique du Nord (il y eut une insurrection en Kabylie en 1945) révèlent un fait essentiel : l'ignorance des dirigeants politiques français en la matière, ignorance qui vaut à la France sesmécomptes actuels. Toute la presse qui «fait l'opinion» ;' obstine à confondre Arabes, musulmans, Berbères et populations nilotiques en y mêlant les statistiques les plus fantaisistes. On ne sait par quel accident les Nouvelles Littéraires ont osé publier (11 oct. 1956) un article insolite d'Étienne Drioton : L'Égypte, première victime des Arabes. En règlegénérale, c'est à qui arabi"se l'Afrique et l'Asie musulmanes. Aussi croit-on nécessaire d'attirer l'attention sur le livre fondamental d'E.F. Gautier : Le Passé de l'Afrique du Nord (Payot, éd., Paris, 1952), méconnu ou trop peu connu, et à cette fin d'en reproduire i·ci l'introduction. Car sans la connaissance du passé, il est impossible de comprendre le présent ni de se faire la moindre idée de l'avenir. Les pages qui suivent datent en réalité de r927 : elles figurent en tête des Siècles oo·scurs du Maghreb ( Payot, éd.), ouvrage que B.F. Gaf:ltier a revu et augmenté pour le publier sous un nouveau titrJ. Un pays qui n'a pas de nom C'EST l'Afrique du Nord, à laquelle conviendrait davantage le nom de Maghreb, peu connu du grand public. On entend par Maghreb ce que d'autres ont appelé « les pays barbaresques»; ce que d'autres ont essayé de baptiser l' « Afrique mineure » ; le pays montagneux qui est enfermé dans les limites de l'Atlas. Les Arabes donnent au nom de Maghreb un sens un peu plus étendu. Ils l'appliquent à toute la partie de l'Afrique du Nord qui s'étend à l'ouest de l'Égypte, et qui englobe donc la Cyrénaïque et la Tripolitaine. Ils ont raison au point de vue humain. La Cyrénaïque et la Tripolitaine sont bien en effet des pays barbaresques, peuplés de Berbères. Pourtant c'est plutôt l'avenue qui conduit du Levant au Maghreb. _ Convenons d'adopter le nom de Maghreb. Voilà_donc un pays qui n'a pas de nom univerBiblioteca Gino Bianco sellement admis, puisqu'il faut convepir de lui en donne!" un. C'est qu'il n'a jamais eu d'existence politique distincte. Et par conséquent on n'a pas écrit son histoire. Il est pourtant en pleine lumière historique depuis deux mille ans, depuis Carthage. Mais l'histoire n'a pas le caractère œcuménique des sciences mathématiques, physiques ou naturelles. Elle connaît des frontières. Nous plaisantons cette sorte d'histoire qui s'écrivait jadis ad usum delphini, à l'usage du dauphin. Mais au fond, sans méconnaître nos efforts d'impartialité, de critique sévère, nous écrivons toujours l'histoire à l'usage du citoyen, du patriote, ou, si l'on veut, à l'usage d'un lecteur qui appartient à une patrie déterminée. Il est impossible de faire· autrement. Cette « petite science conjecturale » tient à l'homme de trop près pour pouvoir se dégager entièrement des passions humaines. On écrit pour un public, et il n'y a pas de public pour s'intéresser à une histoire du ~ Maghreb. Elle n'a donc guère été traitée qu'en fonction d'histoires plus générales, celle de l'empire romain, celle de l'islam. Il est vrai que depuis un siècle le Maghreb est devenu progressivement l'Afrique française ; mais le public français reste très lointain, indifférent. Et c'est tout naturel. Depuis un siècle et demi, depuis la Révolution, malgré des efforts prodigieux, des guerres qui ont secoué la planète, la France n'a eu qu'un succès durable, et important, parfaitement unique, son œuvre en Afrique du Nord. Tout le reste n'a été que glorieux échecs. Il est normal que ces derniers enflamment bien davantage la passion publique. Une nation, comme un homme, a les yeux fixés sur ses échecs, dont l'injustice la soulève ; elle rêve ~ appeler. Ses réussites ne l'intéressent pas, elles lui paraissent toutes naturelles et en tout cas elles sont acquises. Les biographes d' Anatole France nous ont révélé que le maître avait en assez piètre estime ceux de ses romans qui ont réussi, et qui sont dans toutes les mémoires. Son œuvre préférée, c'était sa Jeanne d'Arc, que personne n'a jamais lu~. Si naturels que soient ces sentiments, il est bien possible qu'ils ne soient pas éternels. La France sera entraînée tous les jours davantage

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