Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

98 le· retour de Gomulka. Il y a plus : par-dessus les communistes polonais stalinisants, Piasecki semble être en rapport direct avec Moscou ; il devient le porte-parole du stalinisme russe. Voici les faits : · Le 16 octobre 1956, juste avant les événements, l'attention du public de ·Varsovie est attirée par un article que publie, sous la signature de Piasecki, le Slowo Powszechne, un des organes du mouvement Pax. Cet article, intitulé « Instynkt Panstwowy » (ce qu'on peut traduire par «Sens de l'État»), procède par insinuation et à mots couverts, mais n'en constitue pas moins une très nette mise en garde contre toute tendance à modifier en Pologne le système politique existant ou la direction communiste au pouvoir. Une phrase particulièrement lourde de sens signale que toute tentative «irresponsable » entraînera presque infailliblement des mesures militaires de rétorsion «en vue de la réalisation brutale des intérêts de l'État». 11 est parfaitement clair que Piasecki entend évoquer par là l'intervention brusquée des forces soviétiques. Trois jours plus tard, les événements commencent à corroborer cette menaçante «prédiction»; le 19 octobre, au beau milieu de la session plénière du Comité Central qui doit appeler Gomulka au pouvoir et assurer une orientation radicalement nouvelle, se produit le coup de théâtre le plus surprenant pour le Comité lui-même : l'arrivée par avion à Varsovie des dirigeants suprêmes de l'Union soviétique. L'irruption de Khrouchtchev et de ses collègues, aussitôt appuyée par des paroles d'intimidation et par des mouvements de troupes russes, n'a d'autre objet que de bloquer l'accès au pouvoir de Gomulka. Mais la discussion se prolonge ; les chefs soviétiques baissent le ton, et, en fin de compte, la «rupture avec le passé » se trouve pacifiquement consommée en Pologne, non sans qu'ait été évitée de justesse l'intervention militaire des Soviets. Cette extraordinaire suite d'événements éclaire quelque peu- l'affaire de l'article du 16 octobre. En lançant son appel au «Sens de l'État », que se proposait donc Piasecki? 11 saute aux yeux que celui-ci ne devait pas à son seul « flair politique » les éléments de son information. En fait, son avertissement, à la veille même de la «descente » des chefs soviétiques sur Varsovie, donne fortement à croire que Piasecki était déjà informé des intentions du Kremlin alors que celles-ci étaient encore inconnues des· communistes polonais eux-mêmes : on est amené à conclure que si Piasecki s'est fait le porte-parole volontaire des menaces soviétiques, c'est parce qu'il voulait conjurer le danger de la réforme antistalinienne. EN 1956, l' « Octobre _polonais », en renversant le · cours stalinien, menace de sérieuses conséquences Piasecki et son mouvement. De fait, l' élément «aristocratique» s'en retire bientôt pour former une organisation séparée. En même temps, BibliotecaGinoBianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE la mise en liberté du cardinal Wyszynski et le rétablissement de relations normales entre le régime Gomulka et l'épiscopat mettent fin aux prétentions de Piasecki, qui n'est plus ·seul à pouvoir parler au nom des catholiques. D'ailleurs une organisation catholique indépendante sera bientôt créée, le Znak [Signe] *, qui paraît bénéficier du soutien du cardinal. Bientôt, Piasecki est violemment attaqué, du côté communiste comme par les non-communistes ; on lui reproche et son passé fasciste et son alliance avec le stalinisme. Cette campagne bat son plein lorsque, le 22 janvier 1957, le fils de Piasecki, lycéen de seize ans, disparaît. Il a été enlevé en plein jour, dans la rue. Tous les efforts du père sont vains (il va même jusqu'à proposer aux ravisseurs une rançon considérable): le jeune garçon n'est pas retrouvé. (On ignore encore tout des desseins et de l'identité des ravisseurs.) _ L'effet de cette tragédie personnelle est de mettre fin à la campagne contre Piasecki. Contre Gomulka Quatre mois plus tard, Piasecki lui-même met fin à la trêve. Dans un discours prononcé le 7 mai 1957 lors de l'assemblée générale du mouvement Pax à Varsovie, il critique violemment l'évolution politique de la Pologne depuis les événements d'octobre. Se plaçant du point de vué des «engagements socialistes du peuple », il met de nouveau en garde contre le danger des << expériences » politiques, et condamne la tendance au rapprochement avec la Chine et la Yougoslavie aux dépens de l'amitié soviétique ; enfin, il s'élève contre les manifestations de « cosmopolitisme » et réaffirme la nécessité d'un gouvernement fort. ** Il y a là une apologie avérée des méthodes staliniennes et un encouragement aux adversaires éventuels de Gomulka au moment où se prépare le 1xe Plénum du Comité Central. La manœuvre échoue, puisque le programme de Gomulka est , approuve. Les interventions provocantes de Piasecki mettront-elles fin à l'attitude passive, toute de neutralité et d'inertie, qu'assume encore,· à l'égard de Pax et de son chef, le régime Gomulka ? C'est ce que se demandent, en mai 1957, beaucoup de partisans de la libéralisation du régime. Malgré tout, les autorités s'abstiennent de toute réaction et semblent même vouloir donner de nouveaux gages au mouvement Pax. Le 6 juillet 1957, le primat de Pologne, cardinal Wyszynski, lance conformément à une décision du Vatican un mandement qui interdit strictement à tout prêtre ou religieux de collaborer d'une façon quelconque aux publications patronnées par Pax. Aussitôt la * Le Znak tire son nom d'un périodique catholique publié à Cracovie et animé par la même direction que Tygodnik Powszechne., ** Voir le r~sumé de ce discours dans le Slowo Powszechne du 10 mai 1957. ·

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