Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

F.SETON « Comment faisiez-vous pour diriger une entreprise soviétique ? Comment les choses se passaient-elles ? » LES RÉPONSES que M. Berliner a obtenues mettent l'accent, de façon on ne peut plus nette, sur le moteur essentiel de l'action des cadres dirigeants responsables de la vie des entreprises: la volonté de réussir et les conditions à satisfaire pour s'assurer le succès, la nature des récompenses et les conditions auxquelles elles sont obtenues. Consacrant trois chapitres à ce sujet, le professeur Berliner montre que, de tous les facteurs qui déterminent la conduite des directeurs d'entreprise, le plus puissant e·st la cc prime de base », gratification en argent qui récompense le dépassement des chiffres de production mensuelle fixés par le plan. Cette gratification mensuelle. varie de 20 à 100 % du traitement ordinaire, avec une progression rapide pour chaque dépassement supplémentaire de la norme , prevue. Pour éviter que les considérations de rendement brut ne l'emportent exagérément sur celles de qualité, d'économie de main-d'œuvre, de réduction des prix de revient, etc., l'octroi de la prime de base dépend de l'obtention de certains résultats sur ces divers plans (particulièrement en ce qui concerne la réduction des prix de revient); ces résultats peuvent d'ailleurs être également récompensés par des primes d'appoint. Mais l'importance beaucoup plus grande de la prime de base la place continuellement au premier plan des préoccupations administratives et entretient l'obsession quasi continue qui caractérise l'atmosphère industrielle de l'URSS : celle de la course au rendement quantitatif - au dépassement du plan. On peut y arriver, certes, par la compétence et le travail; mais il est d'autres moyens de s'assurer de fortes primes. L'administrateur d'entreprise peut obtenir des autorités du plan la faveur de fixer sa «norme» bien au-dessous des capacités réelles de l'entreprise; il peut aussi «s'arranger» pour faire apparaître, sur le papier, un niveau de rendement qui n'a pas été effectivement atteint ; enfin, il peut se procurer, par des intermédiaires, des ressources (outillage, matières premières, fournitures, maind' œuvre ), auxquelles il n'a pas « droit ». Dans les chapitres consacrés à la première de ces pratiques, le professeur Berliner décrit le perpétuel jeu de cache-cache auquel se livre le chef d'entreprise, qui cherche à dissimuler son équipement et ses stocks et à faire provision Biblioteca Gino Bianco • d'un « volant » inutile de matières premières, comme base de départ pour des manipulations ultérieures. L'autorité du plan, qui n'ignore rien de ces manœuvres, réagit en élevant la cible fixée, de manière à laisser une marge correspondante aux sous-estimations qui font partie du jeu normal. L'importance accordée à la course au rendement engendre chez le manager des tendances contradictoires; il est déchiré entre l'appât de gains immédiats (sous forme de « primes de base») - et le danger auquel il s'expose en révélant ainsi une capacité de production augmentée, dont on tiendrait compte dans la fixation des cibles futures ; la solution consiste donc à couper la poire en deux, à rechercher constamment le point d'équilibre qui lui permet de camoufler une partie de son potentiel , de disposer de réserves aussi larges que possible. Parmi les conséquences les plus apparentes de cette tactique, on peut citer le gonflement chronique des commandes de fournitures et l' engorgement de l'économie, encombrée de stocks inutilisables parce que mal répartis. Un déploiement d'ingéniosité plus grand encore se manifeste dans différentes méthodes utilisées pour àonner l'apparence d'un rendement supérieur. Dans les entreprises où l'on produit plus d'une sorte de marchandises, le système le plus communément employé est de jouer sur les pourcentages des divers produits, en produisant une quantité excessive de ceux qui permettent le plus aisément de gonfler les chiffres de la production globale. Selon que les cibles sont fixées en termes d'unités, de poids, ou de valeur monétaire, l'effort portera respectivement sur les articles qui sont le plus faciles à produire en nombre, ou sur les plus lourds, ou encore sur les plus rémunérateurs. Tout cela tend souvent à gonfler la part relative des produits absorbant le plus de matériel, et encourage l'accumulation de stocks exagérés de pièces détachées et de matières premières. D'autres procédés de simulation, tels que l'abaissement de la qualité, la manipulation des dates d'exercice comptable, la ventilation comme frais d'entretien des dépenses excessives de main-d' œuvre, voire la falsification pure et simple des chiffres d'ensemble, sont disséqués par l'auteur avec grand soin, et non sans une sympathie amusée. Aucun de ces moyens d'auto-défense ne serait à la portée du chef d'entreprise s'il ne pouvait compter sur la connivence de divers organes de contrôle, et sur l'atmosphère générale de soli- ~rité qui règne parmi tous ceux auxquels incombe la tâche de surmonter les inefficacités

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