·L'expérience • communiste L'HOMME ET LE PLAN * par F. A CEUX qui lui'demandent un emploi dans ses bureaux, le directeur d'une usine . , . . sov1et1que pose cette question : « Combien font deux et deux? - Combien est-ce qu'il vous manque, camarade directeur?» s'enquiert complaisamment un des candidats ; et il est aussitôt nommé chef-comptable. L'anecdote est fantaisiste, mais elle illustre parfaitement la distance qui sépare - au pays des Soviets - ce qui est « exact » en théorie, et ce qu'exige l'entendement des difficultés pratiques au milieu desquelles se débat l'économie nationale. Les manuels officiels ne servent de rien en ce domaine : en décrivant le fonctionnement du socialisme, ils ignorent « ce qui est » pour s'occuper exclusivement de « ce qui doit être » ; ils ressassent les règles formelles et les normes idéales qui sont supposées être les seuls guides de la conduite administrative. En Occident, l'expérience de la planification a souvent révélé l'insuffisance de ces codes opérationnels ; ils ne peuvent être dans le meilleur des cas qu'un simple canevas à partir duquel l'initiative individuelle retranche ou brode, en louvoyant sans cesse pour établir une formule viable. L'étude du professeur Berliner* se base sur le postulat implicite que la nature et l'initiative humaines sont à peu près les mêmes partout, et que leur rôle est décisif dans la mise en œuvre et l'application vivante de n'importe * JoSBPH S. BERLINER: Factory and Manager in the USSR. Cambridge, Harvard University Press, 1957. Biblioteca Gino Bianco Seton quel système. C'est ainsi que, sans s'arrêter aux schémas officiellement promulgués, il s'efforce de pénétrer dans la réalité quotidienne, la vie même de l'industrie soviétique, pour voir comment les hommes la font marcher en fait. A cette fin, l'auteur a pu disposer d'une source d'information unique et de première main : les réfugiés soviétiques en Allemagne. ** Il a tiré de cette circonstance favorable tout le parti possible, et la franchise des réponses à son enquête, de même que leur caractère exhaustif, sont tout à sa louange et à celle de ses informateurs. Il a également fait usage de l'énorme documentation fournie par la presse soviétique elle-même sur les « fautes » commises par les responsables de l'économie et les scandales auxquel& ils se trouvent mêlés : il s'agit en général de délits individuels assez sérieux pour laisser supposer que les mêmes abus sont couramment tolérés lorsqu'ils revêtent une forme moins flagrante. Enfin, l'auteur a utilisé certains travaux systématiques, tant occidentaux que russes, consacrés aux méthodes soviétiques d'organisation industrielle. Rien; cependant, ne pouvait remplacer l'occasion qu'il ,a mise à profit de rencontrer directement des hommes ayant une expérience vécue de ces choses, et de leur demander tout de go : ** L'enquête parmi les émigrés a été organisée par le Russian Research Center de l'Université Harvard. Plusieurs études de valeur en ont été dégagées, et notamment l'exposé d'ensemble établi par R. A. Bauer, A. Inkeles et E. P. Kluckhohn, How the Soviet System Works (Cambridge, Harvard University Press, 1956), dont nous avons rendu compte dans notre numéro de novembre 1957. •
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