Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

88 / CE QUE DIT :Locke du régime despotique n'a rien perdu de son actualité : . Entre sujet et sujet - et ils [les despotes] sont prêts à l'admettre - il doit exister des mesures, des lois et des jugements assurant la paix et la sécurité de chacun. Mais quant au monarque, il doit être absolu., et demeurer au-dessus de tout cela ; comme il jouit du pouvoir de faire à autrui plus de mal et de lui causer plus de tort, il en a aussi le droit. Demander comment on peut être sauvegardé du mal et de l'injustice qui viennent de ce côté-là ... c'est faire entendre la voix des factions et de la rébellion ... La question même est à peine tolérable. Ils [les despotes] sont prêts à vous dire que c'est mériter la mort que de s'enquérir seulement des moyens de protéger sa vie... * Il n'est pas hors de propos de rappeler qu'il arrive aux princes les plus tyranniques de promulguer les codes les plus minutieux. Le code romain., si fameux (et à bien des égards si justement admiré), fut compilé et proclamé seulement après que l'empereur lui-même, élevé au rang des dieux, se trouva placé au-dessus des lois ; il n'était plus licite de mettre en question son pouvoir., ni de le limiter d'aucune manière, il ne s'agissait plus que de l'adorer. Il est nécessaire de multiplier et de codifier les lois pour que les sujets sachent exactement ce qu'on attend d'eux, même ce que sont leurs droits dans leurs relations réciproques, c'est-à-dire celles qui n'affectent pas le pouvoir central ; mais comme ni les cours de justice, ni les corps constitués, ni la presse ni l'opinion publique ne jouissent de la moindre indépendance, les lois sont inopérantes à l'égard du pouvoir dont elles émanent. Dans le totalitarisme communiste, la place de la divinité impériale n'est pas inoccupée. On tyrannise au nom de la doctrine infaillible, de la dictature intouchable, de leurs truchements incorruptibles et de divers démiurges qui ont nom « conscience révolutionnaire », « nécessité historique n, « intérêt de la ·Révolution et du Peuple n, etc. Ceux qui savent où va l'Histoire n'ont-ils pas le droit. et le devoir de veiller à ce qu'elle ne se trompe pas de cl1emin? Avec une belle simplicité, Lénine rappelle ce dont il s'agit : Le concept scientifique de dictature ne signifie ni plus ni moins que le pouvoir illimité reposant directement sur la force et que rien ne vient restreindre., ni texte de loi., ni règle absolue. C'est cela et rien d'autre. A Kourski, commissaire du peuple à la justice, chargé de l'élaboration du premier code soviétique, Lénine écrit : Mon projet n'est qu'un premier jet., mais l'idée de base, je l'espère, est claire : poser franchement la question, dans son principe et dans son contexte politique (et non seulement au sens étroitement juridique), de façon à exposer l'essence et la justification de la terreur, sa nécessité, ses limites. Les tribunaux ne sont pas destinés à éliminer la terreur. S'engager à cela serait se tromper soi-même ou tromper autrui. Au contraire., les tribunaux doivent donner à la terreur un fondèment et une légalisation • Second Traité du gouvernement civil, ch. VII, § 93. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL de principe, en toute clarté, sans falsification ni embellissement. Il est nécessaire de formuler cela aussi largement que possible, car seules la conception révolutionnaire de la justice et la conscience révolutionnaire détermineront les conditions d'application pratique de la terreur sur une plus ou moins grande _échelle. A cef égard, les hommes nouveaux n'ont pas à «revenir aux normes du léninisme», car jamais on ne s'en est écarté. 9. Du '' déclin du zèle'' BIEN QU'IL SOIT permis de spéculer, voire de compter sur un déclin de l'élément apocalyptique et millénariste dans l'idéologie d'un système qui fonctionne et qui se perpétue, il ne faut pas oublier que le léninisme se distingue par ses «idées » centrales, qui furent toujours des idées sur l'organisation. Le bolchévisme est né d'une querelle sur l' organisation : il s'agissait de savoir comment les statuts définiraient les membres du Parti ; qui détiendrait la majorité dans la rédaction d'un journal, l' lskra, appelé à être à la fois le gardien de la doctrine et le centre structurel du Parti. «Donnez-moi une organisation, écrivait Lénine à l'aube de sa carrière de léniniste, et je retournerai la Russie. » L'organisation dont il avait besoin devait être, comme il l'expliqua nettement, celle où le «bureaucratisme » prévaut sur la «démocratie » ; où le « centralisme n l'emporte sur l' «autonomie » ; celle qui « tend à se constituer du sommet à la base... ainsi qu'à défendre et élargir les droits et pleins pouvoirs de la Centrale contre les sections». Lorsqu'au Congrès de 1903, un apologiste du Comité central affirma qu'il devait être « un et omniprésent», · devenir l' « esprit » qui saisit tout, modèle tout et unit tout, Lénine s'écria de sa place: « Nié doukh, a koulak I [Pas un esprit, un poing!] ». L'idée de la domination d'une élite; l'idée d'un parti d'avantgarde; l'idée que •toutes les autres classes ne méritent que le dégoût et qu'on ne peut guère se fier à la classe ouvrière ; l'idée qu'il faut à celle-ci un dictateur ou un chef pour la contraindre à accomplir sa· mission - toutes ces «idées» sur l'orgaJ}isation constituent le noyau distinctif du léninisme comme idéologie. Bien loin de s'user, de s'affaiblir ou de se réduire à une vaine phraséologie, ce sont précisément ces idées structurelles qui se sont développées et étendues, et qui ont trouvé leur terrain d'application en même temps qu'elles se constituaient en système. · Ce sont ces conceptions rigides de structure et d'organi$ation, ainsi que l'idée de la dictature d'une élite infaillible, qui imposent d'étroites limites à l'existence éventuelle d'une opinion publique organisée. Que des ressentiments, des mécontentements se fassent jour, avec la nostalgie d'un régime moins oppressif et d'un sort plus acceptable - c'est là le sort commun réservé à tout despotisme, à l'État totaliste et totalitaire aussi bien qu'à d'autres systèmes d'ordre social; et, certes, lorsque se présentent des moments d'espoir et d'attente,

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