B.· D; WOLFE comme simples délégués au Congrès. Tout ce que l'on peut dire, c'est que les procédés épuratifs d'aujourd'hui ressemblent davantage à ceux de Lénine (ou de Staline dans ses meilleurs jours) qu'aux hécatombes passées; encore la mise à mort de Béria et d'au moins vingt-cinq de ses amis montre-t-elle que les autres techniques n'ont pas été oubliées et peuvent toujours servir en cas de besoin. Certes, l'on respire plus aisément dans le Parti, et l'on s'y félicite de la réserve, poussée jusqu'à l'abnégation, dont font preuve les chefs dans leurs manœuvres pour s'assurer l'avantage. Mais rien ne démontre que les changements survenus soient dus à quelque pression des échelons inférieurs du Parti, ni qu'ils aient été à même de l'exercer, ni qu'ils soient prêts, le cas échéant, à pousser l'audace jusque là. La terreur à laquelle était soumise la société dans son ensemble s'est également relâchée. C'est que, parmi les tâches qui restent à accomplir, il n'existe plus de besognes aussi sanglantes que la collectivisation forcée. Cela tient aussi à l'habitude de l'obéissance, à l'effet lénifiant des amnisties et des concessions caractérisant l'interrègne; à la crise d'effectifs ressentie dans l'industrie, l'agriculture et l'armée (en raison de l'expansion qui se poursuit en dépit des premières « années creuses» dues à la diminution des naissances pendant les années de guerre). Bref, tous ces facteurs, et bien d'autres encore, expliquent le répit dont jouissent artistes, écrivains, ouvriers, paysans et les cadres techniques et professionnels. Les sujets du régime n'ont pas l'impression, pour le moment, que les réprimandes publiques - augures qu'ils sont prompts à déchiffrer - seront nécessairement suivies par l'arrestation des disgraciés et leur déportation dans un camp. En période de pénurie de main-d'œuvre, le régime concentrationnaire manifeste son absurdité, puisque le travail forcé est la façon la plus rapide et la moins utile d'user les forces d'un homme. Le régime concentrationnaire est moins cruel, certes, mais les camps sont toujours là. La population concentrationnaire est moins nombreuse, mais personne n'ose proposer l'abolition des camps eux-mêmes, ni même simplement en parler. Pas plus tard que l'été 1957, on dirigeait sur les camps une nouvelle catégorie de victimes, les étudiants • • msowrus. 8. De la codification des lois LA POLICE a perdu une partie de son ancien prestige; mais comme le régime ne saurait se passer de la force, c'est l'armée qui a comblé le vide en assumant de nouvelles fonctions politiques. D'autre part, les pouvoirs des procureurs ont été élargis de façon à renforcer leur contrôle sur les procès ainsi que sur l'instruction des affaires: autant faire du renard le gardien du poulailler. D'autres réformes juridiques de moindre importance ont été instituées ; mais la grandeaffaire,c'est la codification Biblioteca Gino Bianco • 87 et la normalisation des lois, encore à l'état · de . . promesse. Le nouveau code était à l'étude dans les derniers mois de l'ère stalinienne. Lavrenti Béria, alors que son étoile semblait encore à l'ascendant, annonça la promulgation de ce code dans un délai de soixante jours ; mais cinq années se sont écoulées depuis la mort de Staline - et de Béria - et le nouveau code n'est toujours pas promulgué. Il n'est pas besoin d'en prendre connaissance pour prédire qu'en tout état de cause le code ne portera aucunement atteinte aux bases de l'État totalitaire ; autrement dit, il ne diminuera en rien la sujétion dans laquelle se trouvent - vis-à-vis des volontés et des desseins de l'oligarchie ou du chef - les tribunaux, les lois, les procureurs, les juges et la police. Il est nécessaire de se rappeler à ce propos que rien n'empêche un pouvoir total (et a fortiori un pouvoir totalitaire) de respecter ses propres lois lorsque cela lui convient ; il ne s'ensuit nullement qu'il reconnaît à ces lois une autorité plus forte que la sienne propre, ou qu'il les conçoit comme autant de limites qu'il lui est interdit de franchir. Une instance centrale qui à la fois légifère, administre, juge et exécute (et qui est en outre le critique soi-disant « infaillible » de ses propres actes) peut évidemment châtier comme crime toute activité qui lui déplaît. En Union soviétique, même l'attachement aux principes fondamentaux sur lesquels l'État nouveau fut édifié a été imputé à crime - et sanctionné avec la cruauté qu'appelait un acte aussi dégradant. Quant à la facilité avec laquelle il est loisible à un tel État d'écarter d'un simple geste ses propres lois et de manquer à tous ses engagements, elle se trouve démontrée une fois de plus, après la réaffirmation solennelle de la « légalité socialiste », par la brusque répudiation des dettes. contractées par l' « État ouvrier » auprès des ouvriers. eux-mêmes, sans que le moindre murmure soit permis aux spoliés.* Les détenteurs des titres d'emprunt (dont l'acquisition était obligatoire) furent même obligés à tenir des meetings et à adopter des résolutions dans lesquelles ils exprimaient leur joie d'être ainsi dépouillés de leurs économies. Plus un tel régime perdure, plus il éprouve le besoin de régulariser les devoirs imposés et les espoirs permis à ses sujets, sans limiter pour cela son propre droit d'intervention brutale sous forme de soudaines volte-face et de mesures imprévisibles. La seule garantie possible contre l'arbitraire d'un État omnipotent, c'est l'existence d'organes et de formations non étatiques, capables d'exercer un contrôle efficace ou une pression réelle sur le pouvoir gouvernemental. A défaut, toute tentative pour mettre en échec ce pouvoir, pour en limiter le attributions ou pour les mettre simplement en question, appelle nécessairement une répression exemplaire, destinée à maintenir l'atomisation sociale. • Voir FRANKL YN HoLZMAN : « Le nouveau moratoir sovi~tiquc •,. dans le dernier num~ro du Contrat social (janvier 19:>8).
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